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ANALYSE DE LA CRITIQUE

Cet artifice consiste à donner une contradiction purement logique pour une contradiction réelle, en faisant de l’existence de l’objet en question un prédicat de cet objet. Sans doute, étant donné un triangle, il est nécessaire que ses trois angles soient égaux à deux droits, et il serait contradictoire de dire qu’ils ne le sont pas ; mais il n’y a nulle contradiction à supprimer cette propriété en supprimant le triangle lui-même. Il en est de même du concept d’un être souverainement parfait ou réel : en supprimant son existence, vous supprimez la chose même avec tous ses prédicats, et dès lors d’où peut venir la contradiction ? Mais dit-on, tel est précisément le caractère du concept de l’être absolument réel qu’il est contradictoire d’en supprimer l’objet : dès que l’on conçoit un tel être comme possible, il faut admettre son existence, puisque son existence est comprise dans son concept. Kant répond en montrant que l’on ne peut passer de la pure possibilité d’un objet conçu par la pensée à l’existence réelle de cet objet par une simple analyse de son concept, attendu que l’affirmation de cette existence marque une détermination de la pensée par rapport à l’objet qui n’est nullement comprise dans son concept, quelque complètement déterminé qu’il soit d’ailleurs. Si donc je conçois un être comme la suprême réalité ou la suprême perfection, il reste toujours à savoir si cet être existe ou non. S’il s’agissait d’un objet d’expérience, on ne manquerait pas de bien distinguer sa réalité de sa possibilité : je sais bien que je serais plus riche avec cent thalers réels que si je n’en avais que l’idée, c’est-à-dire s’ils étaient simplement possibles, bien que le concept de cent thalers possibles soit aussi complètement déterminé que celui de cent thalers réels ; mais ici, le critérium de l’expérience nous manquant, nous sommes naturellement portés à confondre la possibilité avec la réalité. Là est le vice fondamental de l’argument ontologique. « Cette preuve si vantée, conclut Kant (p. 194) perd toute sa peine : on ne deviendra pas plus riche en connaissances avec de simples idées qu’un marchand ne le deviendrait en argent si, dans la pensée d’augmenter sa fortune, il ajoutait quelques zéros à son livre de caisse. »

Impuissance de la preuve cosmologique.

La preuve cosmologique est-elle plus démonstrative ? Kant la formule ainsi (p. 195) : « Si quelque chose existe, il doit exister aussi un être absolument nécessaire. Or, j’existe au moins moi--