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Page:Kant - Critique de la raison pure, I-Intro.djvu/111

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ANALYSE DE LA CRITIQUE


toujours de nouvelles forces. Il conduit à des fins et à des desseins que notre observation n’aurait pas découverts d’elle-même, et il étend notre connaissance de la nature en nous donnant pour fil conducteur une unité particulière dont le principe est en dehors de la nature même. Cette connaissance réagit à son tour sur sa cause, c’est-à-dire sur l’idée qui l’a suggérée, et elle élève notre croyance en un suprême auteur du monde jusqu’à la plus irrésistible conviction. Ce serait donc vouloir non-seulement nous retirer une consolation, mais même tenter l’impossible que de prétendre enlever quelque chose à l’autorité de cette preuve. La raison, incessamment élevée par des arguments si puissants et qui s’accroissent sans cesse sous sa main, quoiqu’ils soient purement empiriques, ne peut être tellement rabaissée peu les incertitudes d’une spéculation subtile et abstraite, qu’elle ne doive être arrachée à toute irrésolution sophistique comme à un songe, à la vue des merveilles de la nature et de la structure majestueuse du monde, pour parvenir de grandeur en grandeur jusqu’à la grandeur la plus haute, et de condition en condition jusqu’à l’auteur suprême et absolu des choses. »

Mais, malgré cet hommage, Kant ne pense pas que la preuve physico-théologique soit de nature à résister à l’examen de la critique. Il avait invoqué, dès le début (p. 209), avant les lignes que je viens de citer, cette objection fondamentale qu’aucune expérience ne saurait jamais être adéquate à une idée telle que celle de Dieu, puisque c’est précisément le propre de cette idée de dépasser toute expérience possible ; et la critique détaillée à laquelle il soumet ensuite l’argument en question ne manque pas de la reproduire comme la plus décisive. Si loin que nous puissions pousser notre connaissance de l’ordre et de la finalité de la nature, nous ne pouvons jamais nous flatter de connaître le monde dans toute son étendue ; et par conséquent nous ne saurions nous faire par ce moyen un concept déterminé de la puissance de la cause suprême du monde, comme celui que nous concevons sous le nom de Dieu. Nous pourrions bien attribuer à cette cause une très-grande puissance, une très-grande sagesse, etc., mais non pas une puissance et une sagesse infinies ; car du relatif on ne saurait tirer l’absolu. Ajoutez à cela que la preuve en question ne pourrait tout au plus démontrer qu’un architecte du monde, mais non un créateur du monde, puisque la finalité et l’har-