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DE LA RAISON PURE


exemple de la totalité, de l’infinité, etc. ; et que, de leur côté, les mathématiques s’occupent aussi, à leur point de vue, de la qualité, par exemple de la différence des lignes et des surfaces, comme d’espaces de diverses qualités, de la continuité de l’étendue, comme de l’une de ses qualités, etc.

Pour mieux faire ressortir la différence du procédé philosophique, qui ne sort pas des concepts généraux, et du procédé mathématique, qui a recours à priori à l’intuition pour y considérer le concept in concreto, Kant prend l’exemple suivant (pag. 289) : « Que l’on donne à un philosophe le concept d’un triangle, et qu’on le laisse chercher à sa manière le rapport de la somme des angles de ce triangle à l’angle droit. Il n’a rien que le concept d’une figure renfermée entre trois lignes droites, et dans cette figure celui d’un nombre égal d’angles. Or il aura beau réfléchir sur ce concept, il n’en tirera rien de nouveau. Il peut analyser et éclaircir le concept de la ligne droite, ou celui d’un angle, ou celui du nombre trois, mais non pas arriver à d’autres propriétés qui ne sont pas contenues dans ces concepts. Mais que l’on soumette cette question au géomètre. Il commence par construire un triangle. Comme il sait que deux angles droits pris ensemble valent autant que tous les angles contigus qui peuvent être tracés d’un point sur une ligne droite, il prolonge un côté de son triangle, et obtient ainsi deux angles contigus qui sont égaux à deux droits. Il partage ensuite l’angle externe, en tirant une ligne parallèle au côté opposé du triangle, et voit qu’il en résulte un angle externe contigu qui est égal à un angle interne, etc. Il arrive ainsi par une chaîne de raisonnements, toujours guidé par l’intuition, à une solution parfaitement claire et en même temps générale de la question. »

Ainsi le procédé philosophique est un procédé discursif, tandis que le procédé mathématique est un procédé intuitif. Mais quelle est la cause qui rend nécessaire ce double usage de la raison, et à quelles conditions peut-on reconnaître si c’est le premier ou le second qui a lieu ? Telle est la question que Kant se pose maintenant ; voyons comment il la résout.

En définitive (c’est toujours là qu’il faut en revenir), toute notre connaissance se rapporte à des intuitions possibles, car ce n’est que par l’intuition qu’un objet est donné. Or il n’y a qu’une espèce d’intuitions qui soit donnée à priori : c’est la