Page:Kant - Critique de la raison pure, I.djvu/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
36
CRITIQUE DE LA RAISON PURE


sciences et malgré le préjudice qu’en doit éprouver la raison spéculative dans les possessions qu’elle s’était attribuées jusque-là, l’intérêt général de l’humanité est tout à fait sauvegardé, et l’utilité que le monde avait retirée jusqu’ici des doctrines de la raison pure reste la même qu’auparavant ; il n’y a que le monopole des écoles qui en souffre. Je demande au plus obstiné dogmatique si cette preuve de la permanence de notre âme après la mort qui se tire de la simplicité de sa substance, si celle de la liberté de la volonté, que l’on oppose au mécanisme universel en se fondant sur les distinctions subtiles, mais impuissantes, de nécessité pratique subjective et objective, si la démonstration de l’existence de Dieu, qui a pour principe l’idée d’un être souverainement réel (de la contingence des choses changeantes et de la nécessité d’un premier moteur), je lui demande si toutes ces preuves, nées dans les écoles, sont jamais arrivées jusqu’au public et ont jamais exercé la moindre influence sur ses convictions. Or si cela n’est jamais arrivé, et si l’on ne peut espérer que cela arrive jamais, à cause de l’incapacité de l’intelligence ordinaire des hommes pour d’aussi subtiles spéculations ; si, au contraire, sur le premier point, cette disposition naturelle à tout homme, qui fait que rien de temporel ne saurait nous satisfaire (comme ne suffisant pas aux besoins de notre entière destination), peut seule faire naître en nous l’espérance fondée d’une vie future ; si, sur le second point, la claire exposition de nos devoirs en opposition à toutes les exigences de nos penchants nous donne seule la conscience de notre liberté ; si enfin, sur le troisième, l’ordre magnifique, la beauté et la prévoyance qui éclatent de toutes parts dans la nature sont seules capables d’opérer la croyance en un