Page:Kant - Critique de la raison pure, I.djvu/381

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mun à tous les concepts rationnels, nous rencontrons une expression que nous ne saurions nous dispenser d’employer, mais dont nous ne pouvons nous servir sûrement à cause de l’ambiguïté produite par le long abus qu’on en a fait. Le mot absolu est du petit nombre de ceux qui, dans leur sens primitif, désignaient un concept qu’aucune autre expression de la même langue ne peut rendre exactement, et dont la perte, ou, ce qui est la même chose, l’acception ambiguë entraîne nécessairement la perte du concept même ; et il s’agit ici d’un concept qui, occupant beaucoup la raison, ne saurait lui faire défaut sans un grand dommage pour tous les jugements transcendentaux. Le mot absolu est le plus souvent employé aujourd’hui pour indiquer simplement que quelque chose est considéré en soi et a par conséquent une valeur intrinsèque. Dans ce sens, l’expression absolument possible signifierait possible en soi (interne), ce qui est dans le fait le moins qu’on puisse dire d’une chose. D’un autre côté, on l’emploie aussi quelquefois pour désigner que quelque chose est valable à tous égards (d’une façon illimitée, comme par exemple le pouvoir absolu), et en ce sens l’expression absolument possible signifierait possible sous tous les rapports, ce qui est le plus que l’on puisse dire de la possibilité d’une chose. Or ces sens se rencontrent parfois ensemble. Ainsi, par exemple, ce qui est impossible intrinsèquement l’est aussi sous tous les rapports, par conséquent absolument. Mais, dans la plupart des cas, ils sont infiniment éloignés, et de ce qu’une chose est possible en soi, je n’en puis nullement conclure qu’elle soit possible aussi à tous égards, par conséquent absolument. Je montrerai même dans la suite que la nécessité absolue ne dépend nullement dans tous les cas de la né-