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ESTHÉTIQUE TRANSCENDENTALE


Il n’est, en effet, aucune de ces représentations d’où l’on puisse tirer des propositions synthétiques à priori, comme celles qui dérivent de l’intuition de l’espace, § 3. Aussi, à parler exactement, n’ont-elles aucune espèce d’idéalité, encore qu’elles aient ceci de commun avec la représentation de l’espace, de dépendre uniquement de la constitution subjective de la sensibilité, par exemple de la vue, de l’ouïe, du tact ; mais les sensations des couleurs, des sons, de la chaleur, étant de pures sensations et non des intuitions, ne nous font connaître par elles-mêmes aucun objet, du moins à priori.

Le but de cette remarque est d’empêcher qu’on ne s’avise de vouloir expliquer l’idéalité attribuée à l’espace par des exemples entièrement insuffisants, comme les couleurs, les saveurs, etc., que l’on regarde avec raison,


    ne peut-elle être comparée à aucune autre. Le goût agréable d’un vin n’appartient pas aux propriétés objectives de ce vin, c’est-à-dire aux propriétés d’un objet considéré comme tel, même comme phénomène, mais à la nature particulière du sens du sujet qui en jouit. Les couleurs ne sont pas des qualités des corps à l’intuition desquels elles se rapportent, mais seulement des modifications du sens de la vue, affecté par la lumière d’une certaine façon. Au contraire, l’espace, comme condition de phénomènes extérieurs, appartient nécessairement au phénomène ou à l’intuition du phénomène. La saveur et la couleur ne sont point du tout des conditions tellement nécessaires que sans elles les choses ne pourraient devenir pour nous des objets des sens. Ce ne sont que des effets de l’organisation particulière de nos sens, liés accidentellement au phénomène. Elles ne sont donc pas non plus des représentations à priori, mais elles se fondent sur la sensation, ou même, comme une saveur agréable, sur le sentiment du plaisir (ou de la peine), c’est-à-dire sur un effet de la sensation. Aussi personne ne saurait-il avoir à priori l’idée d’une couleur ou celle d’une saveur, tandis que l’espace ne concernant que la forme pure de l’intuition et ne renfermant par conséquent aucune sensation (rien d’empirique), tous ses modes et toutes ses propriétés peuvent et doivent même être représentés à priori, pour donner lieu aux concepts des figures et de leurs rapports. Lui seul peut donc faire que les choses soient pour nous des objets extérieurs.