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DU TEMPS


condition de toutes nos expériences ; mais, d’après ce que nous venons de dire, on ne saurait lui accorder une réalité absolue. Il n’est autre chose que la forme de notre intuition interne[1]. Si l’on retranche de cette intuition la condition particulière de notre sensibilité, alors le concept du temps disparaît aussi, car il n’est point inhérent aux choses mêmes, mais seulement au sujet qui les perçoit.

Quelle est donc la cause, pourquoi cette objection a été faite si unanimement, et par des hommes qui n’ont rien d’évident à opposer à la doctrine de l’idéalité de l’espace ? C’est qu’ils n’espéraient pas pouvoir démontrer apodictiquement la réalité absolue de l’espace, arrêtés qu’ils étaient par l’idéalisme, suivant lequel la réalité des objets extérieurs n’est susceptible d’aucune démonstration rigoureuse, tandis que celle de l’objet de nos sens intérieurs (de moi-même et de mon état) leur paraissait immédiatement révélée par la conscience. Les objets extérieurs, pensaient-ils, pourraient bien n’être qu’une apparence, mais le dernier est incontestablement quelque chose de réel. Ils ne songeaient pas que ces deux sortes d’objets, quelque réels qu’ils soient à titre de représentations, ne sont cependant que des phénomènes, et que le phénomène doit toujours être envisagé sous deux points de vue : l’un, où l’objet est considéré en lui-même (indépendamment de la manière dont nous l’apercevons, mais où par cela même sa nature reste toujours pour nous

  1. Je puis bien dire que mes représentations sont successives, mais cela signifie simplement que j’ai conscience de ces représentations comme dans une suite de temps, c’est-à-dire d’après la forme du sens intérieur. Le temps n’est pas pour cela quelque chose en soi ni même une détermination objectivement inhérente aux choses.