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DE L’IDÉAL DU SOUVERAIN BIEN


raisonnable, qui est déterminé à priori par cette même raison pure et qui est nécessaire.

Le bonheur tout seul est loin d’être pour notre raison le souverain bien. Elle ne l’approuve (quelque ardemment que l’inclination puisse le souhaiter) que s’il s’accorde avec ce qui nous rend dignes d’être heureux, c’est-à-dire avec la bonne conduite morale. Mais d’un autre côté la moralité et avec elle la simple qualité d’être digne du bonheur ne sont pas non plus le souverain bien. Pour que le bien soit complet, il faut que celui qui ne s’est pas conduit de manière à se rendre indigne du bonheur puisse espérer d’y participer. La raison, en dehors même de toute considération personnelle, ne peut pas juger autrement, lorsque, sans avoir égard à aucun intérêt particulier, elle se met à la place d’un être qui aurait à distribuer aux autres tout le bonheur ; car dans l’idée pratique les deux éléments sont nécessairement liés, mais de telle sorte que c’est l’intention morale qui est la condition de la participation au bonheur, et non la perspective du bonheur qui rend d’abord possible l’intention morale. Dans ce dernier cas en effet l’intention ne serait plus morale, et par conséquent elle ne serait plus digne de tout le bonheur, qui devant la raison ne connaît pas d’autres bornes que celles qui viennent de notre propre immoralité.

Le bonheur, exactement proportionné à la moralité des êtres raisonnables, qui s’en rendent dignes par là même, constitue donc seul le souverain bien d’un monde où, d’après les préceptes de la raison pure pratique, nous, devons absolument nous placer, et qui n’est qu’un monde intelligible ; car le monde sensible ne nous permet pas d’attendre de la nature des choses une telle unité systé-