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CRITIQUE DE LA RAISON PURE (Ire ÉDITION)


sensible, avant même qu’un objet réel ait par la sensation déterminé notre sens à le représenter sous ces rapports sensibles. Mais ce quelque chose de matériel ou de réel, ce quelque chose qui doit être perçu dans l’espace présuppose nécessairement la perception et, sans cette perception qui montre la réalité de quelque chose dans l’espace, ne peut être ni feint ni produit par aucune imagination. La sensation est donc ce qui désigne une réalité dans l’espace ou le temps, suivant qu’elle est rapportée à l’une ou à l’autre espèce d’intuition sensible. Une fois que la sensation est donnée (la sensation s’appelle perception, quand elle est appliquée à un objet en général sans le déterminer), on peut, au moyen de ses éléments divers, se figurer dans l’imagination maint objet qui en dehors de cette faculté n’a plus de place empirique dans l’espace ou dans le temps. Cela est indubitablement certain : que l’on prenne les sensations de plaisir ou de peine, ou même des choses extérieures, telles que la couleur, la chaleur, etc., la perception est toujours ce par quoi la matière doit être d’abord donnée, pour que l’on puisse concevoir des objets d’intuition sensible. Cette perception représente donc (pour nous en tenir cette fois aux intuitions extérieures) quelque chose de réel dans l’espace. En effet d’abord la perception est la représentation d’une réalité, de même que l’espace est la représentation d’une simple possibilité de la coexistence. En second lieu cette réalité est représentée au sens extérieur, c’est-à-dire dans l’espace. En troisième lieu l’espace n’est lui-même rien autre chose qu’une simple représentation, et par conséquent, il ne peut y avoir en lui de réel que ce qui y est représenté *[1] ; et réciproquement ce qui y est donné, c’est-à-dire représenté par

  1. * Il faut bien remarquer cette proposition paradoxale, mais exacte, qu’il n’y a rien dans l’espace que ce qui y est représenté. En effet, l’espace n’est lui-même autre chose qu’une représentation, et par conséquent ce qui est en lui doit être contenu dans la représentation, et rien absolument n’est dans l’espace qu’autant qu’il y est réellement représenté. C’est sans doute une proposition qui paraîtra étrange, que de dire qu’une chose ne peut exister que dans sa représentation, mais elle perd ici son étrangeté, puisque les choses auxquelles nous avons affaire ne sont pas des choses en soi, mais seulement des phénomènes, c’est-à-dire des représentations.