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DIALECTIQUE TRANSCENDENTALE


étonnante : c’est que l’empirisme exclut toute espèce de popularité. On serait tenté de croire au contraire que le commun des esprits devrait accepter avec empressement une méthode qui lui promet de le satisfaire en lui offrant exclusivement des connaissances expérimentales et en les enchaînant conformément à la raison, tandis que le dogmatisme transcendental le contraint à s’élever à des concepts qui dépassent de beaucoup les vues et la puissance rationnelle des esprits les plus exercés à la pensée. Mais c’est justement là ce qui détermine les intelligences dont nous parlons. En effet elles se trouvent alors dans un état où les plus savants mêmes n’ont aucun avantage sur elles. Si elles n’y entendent rien ou peu de choses, personne du moins ne saurait se vanter d’y entendre davantage ; et, bien qu’elles ne puissent en discourir aussi méthodiquement que d’autres, elles peuvent en raisonner infiniment plus. C’est qu’elles errent là dans la région des pures idées, où l’on n’est si disert que parce que l’on n’en sait rien, tandis que, en matière de recherches physiques, il leur faudrait se taire tout à fait et avouer leur ignorance. Commodes et flatteurs pour la vanité, voilà donc déjà une puissante recommandation en faveur des principes du dogmatisme. En outre, s’il est très-difficile à un philosophe d’admettre en principe quelque chose dont il soit incapable de se rendre compte, ou même de présenter des concepts dont la réalité objective ne puisse être aperçue, rien n’est plus habituel aux intelligences vulgaires. Elles veulent avoir un point d’où elles puissent partir en toute sûreté. La difficulté de comprendre une pareille supposition ne les arrête pas, parce que (comme elles ne savent pas ce que c’est que comprendre) cette difficulté ne leur vient jamais