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CRITIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE

peut être fait. Or toute affection [1] est aveugle ou dans le choix de sa fin, ou, quand cette fin est donnée par la raison, dans son accomplissement ; car c’est un mouvement de l’esprit qui nous rend incapables de toute libre réflexion sur les principes d’après lesquels nous devons nous déterminer. Il ne peut donc en aucune manière mériter une satisfaction de la raison. Cependant, esthétiquement, l’enthousiasme est sublime, car c’est une tension des forces produite par des idées qui donnent à l’esprit un élan beaucoup plus puissant et plus durable que ne peut faire l’attrait des représentations sensibles. Mais (ce qui paraît étrange) l'absence de toute affection [2] (apathia, phlegma in significatu bono) dans un esprit qui suit rigoureusement ses principes immuables, est sublime, et d’une espèce de sublimité bien plus grande, car elle a, aussi pour elle la satisfaction de la raison. Cet état de l’esprit s’appelle noble, et cette expression s’applique ensuite aux choses, par exemple à un édifice,

  1. Les affections sont spécifiquement différentes des passions. Les premières ne se rapportent qu’au sentiment ; les secondes appartiennent k la faculté de désirer, et sont des inclinations qui rendent difficile ou impossible toute détermination de la volonté par des principes. Celles-là sont impétueuses et irréfléchies, celles-ci durables et réfléchies. Ainsi le ressentiment, comme colère, est une affection ; mais comme haine (désir de vengeance), c’est une passion. La passion ne peut jamais et sous aucun rapport être appelée sublime, car si dans l’affection la liberté de l’esprit est empêchée, elle est supprimée dans la passion.
  2. Affectlosigkeit.