Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome premier.djvu/268

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Celui qui contemple solitairement (et sans avoir pour but de communiquer ses remarques à d’autres) la beauté d’une fleur sauvage, d’un oiseau, d’un insecte, ou de quelque autre chose semblable, pour l’admirer et l’aimer, et qui regretterait de ne pas trouver cette chose dans la nature, quand même elle lui porterait quelque dommage, et indépendamment de tous les avantages qu’il en peut retirer, celui-là attache à la beauté de la nature un intérêt immédiat et intellectuel. Ce n’est plus seulement la production de la nature qui lui plaît par sa forme, mais aussi l’existence de cette production, sans qu’aucun attrait sensible y entre ou que lui-même y attache quelque fin.

Remarquons que, si on trompait secrètement cet amateur du beau, en plantant dans la terre des fleurs artificielles (imitant parfaitement les fleurs naturelles), ou en plaçant sur les branches des arbres des oiseaux artistement sculptés, et qu’on lui découvrît ensuite la ruse, cet intérêt immédiat qu’il prenait d’abord à ces objets disparaîtrait bientôt, et ferait peut-être place à un autre, à un intérêt de vanité, c’est-à-dire au désir d’en orner sa chambre pour en faire montre. Il faut qu’en voyant une beauté de la nature nous ayons la pensée que c’est la nature même qui l’a produite, et c’est seulement sur cette pensée que se fonde l’intérêt immédiat qu’on y prend. Sinon, il n’y aura