Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome premier.djvu/333

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d’imaginer des choses qui cassent la tête, comme font les rêveurs mystiques, ou bien des choses où l’on se casse le cou, comme font les génies, ou enfin des choses qui fendent le cœur [1] , comme font les romanciers sentimentaux (et les moralistes du même genre).

On peut donc, à ce qu’il me semble, accorder à Épicure que toute jouissance, même quand elle est occasionnée par des concepts qui éveillent des idées esthétiques, est une sensation animale, c’est-à-dire corporelle, et l’on ne fera point par là le moindre tort au sentiment spirituel du respect pour les idées morales, car ce sentiment n’est pas une jouissance, mais une estime de soi (de l’humanité en nous), qui nous élève au-dessus du besoin de la jouissance ; j’ajoute que, quoique moins noble, la satisfaction du goût n’en souffrira pas davantage.

On trouve un mélange de ces deux dernières qualités, le sentiment moral et le goût, dans la naïveté, qui n’est autre chose que la sincérité, naturelle à l’humanité, triomphant de l’art de feindre devenu une seconde nature. On rit de la

  1. J’ai essayé de conserver ici les expressions énergiques employées par Kant : kopfbrechend, halsbrechend, herzbrechend, et que rendent mal dans la traduction latine les termes abstraits : abscondite, præcipitanter, molliter. Seulement je n’ai pu, comme Kant, conserver dans tous les cas la même expression métaphorique.   J. B.