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AVANT-PROPOS


dans « la liberté et l’indépendance à l’égard du mécanisme de la nature entière ». A cette personnalité, nouménale et intelligible, est soumise notre personne qui fait partie du monde sensible et phénoménal (1}[1]. En tant que sujet de la liberté, l’homme devient une chose en soi, un noumène, c’est-à-dire un objet du monde intelligible et d’une nature suprasensible. La nature du monde sensible (pour ce qui est des êtres raisonnables), se rattache ainsi, par la loi morale, à une nature suprasensible qui doit lui servir d’archétype. Nous pouvons donc regarder le monde sensible comme la copie imparfaite du monde intelligible et conclure du fait que tous les phénomènes se conforment dans le premier à la loi de causalité physique, que dans le second tous les êtres moraux doivent nécessairement se régler sur la causalité par liberté. — Mais comment peut-on dire que l’action d’un homme soit libre, si, dans le temps, quand elle s’accomplit, elle doit obéir à la nécessité physique. Ce n’est pas, répond Kant, comme phénomène que l’homme est libre ; se déroulant dans le monde phénoménal, son action est soumise aux conditions de l’espace et du temps, par conséquent au mécanisme. Mais en tant que noumène, l’homme échappe à ces conditions et son acte est tout à fait libre, parce qu’il n’est déterminé que par les lois de la volonté pure. Or l’homme-noumène a-t-il bien cette indépendance absolue ? Sorti des mains du Créateur, n’est-il pas gouverné par Lui et la liberté que nous lui donnons ne serait-elle pas simplement illusoire comme celle qu’un automate pourrait s’attribuer à tort ? « Il semble qu’aussitôt que l’on admet Dieu comme cause première universelle, on doive aussi accorder que nos actions ont leur principe déterminant dans ce qui est entièrement hors de notre pouvoir, à savoir dans la causalité d’un être suprême distinct de nous, duquel dé-

  1. (1) Loc. cit., p. 166.