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PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION


cette fin dernière (de la création du monde), qui peut et qui doit être en même temps la fin dernière de l’homme.

Si la morale reconnaît dans la sainteté de sa loi un objet du plus grand respect, elle représente sur le seuil de la

    verain bien dans le monde, doit (comme article de foi) simplement dériver de la morale, c’est une proposition synthétique a priori, qui, bien que seulement admise sous le rapport pratique, dépasse cependant le concept du devoir que contient la morale (et qui ne suppose aucune matière du libre arbitre, mais simplement ses lois formelles) et ne peut donc pas en sortir analytiquement. Mais comment une telle proposition a priori est-elle possible ? L’accord avec la simple idée d’un législateur moral de tous les hommes est identique, il est vrai, avec le concept moral de devoir en général, et jusqu’ici cette proposition qui ordonne cet accord serait analytique. Mais admettre l’existence d’un tel objet, c’est plus que d’en admettre la simple possibilité. Je ne puis ici qu’indiquer, sans entrer dans aucun détail, la clef qui peut donner la solution de ce problème, autant que je crois le saisir.
    La fin est toujours l’objet d’une inclination, c’est-à-dire d’un désir immédiat d’obtenir la possession d’une chose par l’acte que l’on accomplit ; de même, la loi (qui ordonne pratiquement) est un objet du respect. Une fin objective (c’est-à-dire celle que nous devons avoir) est celle qui nous est proposée comme telle par la simple raison. La fin qui renferme la condition nécessaire et en même temps suffisante de toutes les autres est la fin dernière. Le bonheur personnel est la fin dernière subjective des êtres raisonnables du monde (chacun d’eux a cette fin en vertu de sa nature dépendante d’objets sensibles, et il serait absurde, en parlant d’elle, de dire que l’on doit l’avoir), et toutes les propositions pratiques, qui ont cette fin dernière pour fondement, sont synthétiques, et en même temps empiriques. Mais que chacun doive prendre pour fin dernière le plus grand bien possible dans le monde, c’est là une proposition pratique synthétique a priori, même objectivement pratique, proposée par la raison pure, parce que c’est une proposition qui dépasse le concept des devoirs dans le monde et ajoute aux devoirs une conséquence (un effet), une proposition qui n’est point contenue dans les lois morales et ne peut donc pas en être tirée analytiquement. Ces lois ordonnent en effet absolument, quelle que puisse en être la conséquence ; bien plus, elles nous contraignent même à faire abstraction de leur conséquence, s’il s’agit d’une action particulière, et elles font ainsi du devoir l’objet du plus grand respect, sans nous présenter ni nous proposer une fin (et une fin dernière) qui dût en quelque sorte leur servir de recommandation et constituer le mobile de l’accomplissement de notre devoir. Et c’est aussi ce qui pourrait suffire à tous les hommes, si (comme ils le devraient) il s’en tenaient simplement aux prescrip-