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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON


vent lui faire des emprunts, bien que ce ne soit, il est vrai, que pour leur utilité personnelle. Et s’il devait être interdit au théologien biblique d’avoir jamais recours, si c’est possible, à la raison dans les choses de la religion, on peut facilement prévoir de quel côté serait la perte ; car une religion qui déclare témérairement la guerre à la raison ne saurait longtemps résister contre elle. J’oserai même faire cette proposition : ne serait-il pas convenable de donner comme conclusion à l’enseignement académique de la théologie biblique des leçons qui auraient pour objet spécial la doctrine philosophique pure de la religion (où l’on tire parti de tout, même de la Bible) et qui prendraient le présent ouvrage pour guide (ou un autre même, si l’on en trouve quelqu’un de meilleur en ce genre) ? Est-ce que ce procédé n’est pas indispensable pour achever d’armer de pied en cap les candidats ? — Le seul moyen de faire avancer les sciences est, en effet, de bien les séparer, de les prendre d’abord chacune à part, comme constituant un tout, et de n’essayer qu’ensuite de les considérer dans leur réunion. Que le théologien biblique se croie d’accord avec le philosophe ou qu’il estime devoir le contredire, cela nous importe fort peu, pourvu seulement qu’il l’écoute. Car ce n’est qu’ainsi qu’il peut être armé d’avance contre toutes les difficultés que le philosophe pourrait lui créer. Dissimuler ces difficultés, les traiter même d’impiétés pour jeter sur elles le discrédit, c’est un misérable expédient dépourvu de toute valeur ; mêler ensemble les deux procédés et ne jeter que des regards rapides et fugitifs sur ces difficultés, c’est, de la part du théologien biblique, un manque de profondeur qui fait que nul, à la fin, ne sait bien ce qu’il faut penser de la théorie religieuse dans son ensemble.

Le présent ouvrage se compose de quatre parties, dans lesquelles, à l’effet de mettre en lumière le rapport de la religion avec la nature humaine affectée de bonnes et de mauvaises dispositions, je représente la relation des