Page:Kant - La religion dans les limites de la raison, trad Tremesaygues, 1913.djvu/46

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que, avec une telle équivoque, toutes les maximes courent le risque de perdre toute précision et toute fixité. On nomme communément ceux qui sont attachés à cette sévère façon de voir (d’un nom qui est censé contenir un blâme, mais qui en réalité est un éloge) des Rigoristes ; et l’on peut nommer Latitudinaires ceux qui en sont les antipodes. Il y a deux espèces de latitudinaires, que l’on peut nommer Indifférentistes, s’ils admettent que l’homme n’est ni bon ni mauvais (Latitudinarier der Neutralität), ou Syncrétistes, s’ils admettent qu’il est à la fois bon et mauvais (Latitudinarier der Coalition)[1]. La réponse qu’on donne à la question posée, suivant la méthode de solution qui est celle des rigoristes[2] se base

  1. Si le bien est = a, son opposé contradictoire est le non-bien. Or le non-bien est la conséquence ou d’une simple privation d’un principe du bien = 0, ou d’un principe positif de ce qui est le contraire du bien = -a ; dans ce dernier cas, le non-bien peut aussi être appelé le mal positif. (Dans la question du plaisir et de la douleur, on trouve un milieu de ce genre : le plaisir est = a ; la douleur est = b et l’état où ne se rencontrent ni l’un ni l’autre, l’indifférence, est = 0). Si la loi morale n’était pas en nous un mobile du libre arbitre, le bien moral (l’accord du libre-arbitre avec la loi) serait -a, le non bien = 0, et ce dernier serait la simple conséquence de la privation d’un mobile moral = a x 0. Or il y a en nous un mobile = a ; donc le manque d’accord du libre arbitre avec ce mobile (manque qui = 0) n’est possible qu’en qualité de conséquence d’une détermination effectivement contraire du libre arbitre, c’est-à-dire d’une résistance effective de cet arbitre, résistance = ― a, et ne peut donc avoir pour cause qu’un mauvais libre arbitre ; entre une bonne et une mauvaise intention (principe intérieur des maximes), de laquelle il faut que dépende d'ailleurs la moralité de l'action, il n'y a donc pas de milieu.
    [Une action moralement indifférente (adiaphoron morale) serait une action résultant simplement de lois physiques ; et cette action ; par suite, n’a aucun rapport avec la morale, étant donné qu’elle n’est point un fait (ein Factum) et qu’il ne saurait être ni possible ni nécessaire qu’elle soit l’objet d’un commandement, d’une défense ou d’une permission (d’une autorisation légale)].
  2. [M. le professeur SCHILLÉR, dans sa magistrale dissertation (Thalia, 1793, 3e partie) sur la grâce et la dignité en morale, désapprouve cette façon de se représenter l’obligation, estimant qu’elle implique un tempérament de chartreux ; mais je peux bien, étant d’accord avec cet écrivain sur les plus importants principes, être encore sur ce point de son avis, à la condition seulement de nous bien expliquer l’un l’autre. J’avouerai volontiers qu’il ne m’est pas possible de don-