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COEXISTENCE DU MAUVAIS PRINCIPE AVEC LE BON

thierischen) ; une raison affranchie de la loi morale et pour ainsi dire perverse (une volonté absolument mauvaise) contient trop au contraire, parce qu’elle érige en mobile l’opposition contre la loi même (le libre arbitre ne pouvant se déterminer sans mobiles) et qu’elle ferait ainsi du sujet un être diabolique. — Or, l’homme n’est ni bête, ni démon.

Mais, quoique l’existence de ce penchant au mal dans la nature humaine puisse être mise sous les yeux par des preuves d’expérience montrant l’opposition réelle que fait, dans le temps, à la loi le libre arbitre humain, ces preuves cependant ne nous apprennent pas le vrai caractère de ce penchant, ni le principe de cette opposition ; puisque ce caractère concerne une relation du libre arbitre (arbitre dont, par conséquent, le concept n’est pas empirique) à la loi morale considérée comme un mobile (ce dont le concept est de même purement intellectuel), il faut au contraire qu’il puisse être connu a priori, comme découlant du concept du mal, en tant que ce mal est possible en vertu des lois de la liberté (de l’obligation et de l’imputabilité). Ce qui suit est le développement de ce concept.

Nul homme, même le plus pervers, et quelles que soient ses maximes, ne viole la loi morale dans un pur esprit de révolte (en lui opposant un refus d’obéissance). Elle s’impose à nous irrésistiblement, au contraire, en vertu de notre disposition morale ; et si d’autres mobiles ne venaient la combattre en lui, l’homme l’accepterait dans sa maxime suprême, comme principe suffisant de détermination du libre arbitre, c’est-à-dire qu’il serait moralement bort. Mais il dépend encore, en vertu de sa disposition naturelle, également innocente, des mobiles de la sensibilité, et il les adopte aussi dans sa maxime (selon le principe subjectif de l’amour de soi). Et s’il les adoptait dans sa maxime comme suffisants par eux seuls à la détermination du libre arbitre, sans se soucier de la loi morale (que