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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

par la fermeté de ce principe, il peut espérer qu’il se trouve sur la voie bonne (quoique étroite) d’un progrès incessant du mal au mieux. En être là, aux yeux de Celui dont les regards pénètrent le fond intelligible du cœur (de toutes les maximes du libre arbitre) et pour qui cette infinité de progrès est donc une unité, c’est-à-dire aux yeux de Dieu, c’est tout à fait la même chose que d’être réellement homme de bien (que de lui être agréable) ; et ce changement, à ce titre, peut être considéré comme une révolution ; mais au jugement des hommes, qui ne peuvent tabler, pour s’estimer eux-mêmes et la force de leurs maximes, que sur l’empire qu’ils acquièrent sur la sensibilité dans le temps, ce changement ne doit être considéré que comme un effort toujours soutenu vers le mieux, par suite comme une réforme progressive du penchant au mal.

Il suit de là que l’éducation morale de l’homme ne doit pas commencer par l’amélioration des mœurs, mais par la conversion de la manière de penser et la fondation d’un caractère, bien qu’ordinairement on ne procède pas ainsi et qu’on s’attaque uniquement aux vices dont on ne touche pas la racine commune. Or l’homme le plus borné est lui-même capable d’éprouver pour une action conforme au devoir un respect d’autant plus grand qu’il la dépouille davantage en pensée d’autres mobiles qui auraient pu influer par l’amour de soi sur la maxime de l’action ; et les enfants eux-mêmes sont capables de découvrir la moindre trace de mélange de mobiles impurs, puisqu’en pareil cas l’action perd instantanément pour eux toute valeur morale. Cette disposition au bien, on peut la cultiver incomparablement dans les élèves à qui l’on apprend la morale en leur citant l’exemple même des hommes vertueux (dont les actions sont conformes à la loi) et en leur faisant juger de l’impureté de maintes maximes d’après les mobiles réels de leurs propres actes ; elle passe ainsi peu à peu dans la manière de penser, de sorte que, simplement par lui-