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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

mieux, et conséquemment nous devons faire consister la transformation de l’intention, qui fait du méchant un homme de bien, dans le changement du principe interne suprême qui préside à l’acceptation de nos maximes et dans l’adoption d’un principe conforme à la loi morale, en tant que ce nouveau principe (le cœur nouveau) est désormais immuable lui-même. L’homme ne peut pas, il est vrai, arriver naturellement à la conviction d’un tel changement ; rien ne peut l’y mener, ni sa conscience immédiate, ni la preuve tirée de la conduite qui a été la sienne jusqu’ici ; car la profondeur de son cœur (le principe subjectif suprême de ses maximes) lui demeure à lui-même impénétrable ; mais il doit pouvoir espérer qu’il arrivera par ses propres forces à la voie qui y mène et qui lui est montrée par une intention foncièrement améliorée : parce qu’il doit devenir homme de bien, et que c’est seulement d’après ce qui peut lui être imputé comme son œuvre propre, qu’il peut être dit bon au point de vue moral.

Contre cette prétention du perfectionnement par soi-même, la raison naturellement paresseuse dans le travail moral, invoque, sous prétexte de son incapacité naturelle, toutes sortes d’idées religieuses impures (entre autres celle qui prétend que Dieu lui-même fait du principe du bonheur la condition suprême de ses commandements). Or, toutes les religions peuvent se ramener à deux : l’une (de simple culte) cherche à obtenir des faveurs ; l’autre est la religion morale, c’est-à-dire la religion de la bonne conduite. Dans la première les hommes se flattent soit que Dieu peut les rendre éternellement heureux (par la rémission de leurs fautes), sans qu’ils aient pour cela à devenir meilleurs, soit, quand cette première supposition ne leur semble pas être possible, que Dieu peut les rendre meilleurs sans qu’ils aient eux-mêmes autre chose à faire qu’à l’en prier ; et comme prier, devant un Être qui voit tout, ce n’est rien de plus que souhaiter, l’homme n’aurait