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LA LUTTE DU BON PRINCIPE AVEC LE MAUVAIS

Les inclinations naturelles, considérées en elles-mêmes, sont bonnes, c’est-à-dire non rejetables (unverwerflich) ; et non seulement il est vain, mais il serait encore nuisible et blâmable de vouloir les extirper ; on doit plutôt se contenter de les dompter, pour qu’elles puissent, au lieu de s’entre-choquer elles-mêmes, être amenées à s’harmoniser dans un Tout appelé bonheur. Et la raison, à qui incombe cette tâche, a reçu le nom de prudence. Il n’y a de mauvais en soi et d’absolument rejetable que ce qui est moralement opposé à la loi ; voilà ce qu’il faut extirper ; et la raison qui nous l’apprend, surtout quand elle met ses leçons en pratique, mérite seule le nom de sagesse ; et par comparaison, on peut dire du vice qu’il est une folie, mais seulement quand la raison se sent assez de force pour le mépriser (lui et tous ses attraits), et non pas seulement pour le haïr comme un être redoutable et s’armer contre lui.

Quand donc le Stoïcien ne voyait dans le combat moral soutenu par l’homme que la lutte livrée par lui à ses inclinations (innocentes en soi), dont il faut qu’il se rende maître parce qu’elles sont des obstacles à l’accomplissement de son devoir ; n’admettant pas de principe (mauvais en soi) particulier et positif, il ne pouvait placer la cause de la transgression que dans la négligence à combattre les inclinations ; mais comme cette négligence est elle-même un acte contraire au devoir (une transgression), et non pas simplement une faute de la nature (blosser Naturfehler), et que la cause ne peut pas en être cherchée à son tour (sans que l’on tourne dans un cercle) dans les inclinations, mais seulement dans ce qui détermine la volonté comme libre arbitre (dans le principe interne et premier des maximes

    encore dans le sujet un autre adversaire auquel la vertu doit livrer bataille, sans quoi toutes les vertus seraient, je ne dis pas, comme ce Père de l’Église, des vices brillants, mais du moins de brillantes misères ; parce que, arrivant souvent à dompter le tumulte, jamais elles ne réussissent à vaincre et à exterminer le séditieux lui-méme.

Kant. — Religion. 5