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AVANT-PROPOS


rience les lois qui régissent les phénomènes et rendent compte de ce qui se fait, nous y trouvons aussi les lois de ce qui veut être par nous, de ce que nous sommes tenus de faire sous le rapport de la moralité. La raison pratique, agissante, nous révèle la loi morale, qui s’impose à tous comme l’expression d’une volonté générale, d’une Raison impersonnelle, puisqu’elle combat notre intérêt propre, notre égoïsme ; et cette loi qui suppose la liberté, suppose également la personnalité humaine, notre existence en tant qu’esprit, comme âme, existence « obtenue par voie de conclusion, sans jamais pouvoir, pour les hommes, être un objet d’évidence empirique (1)[1] ». Ainsi les lois de la moralité nous font entrer dans le monde spirituel et libèrent notre existence des conditions de l’espace et du temps ; dès lors, rien ne s’oppose à l’immortalité de l’âme, et cette immortalité est même requise pour qu’il nous soit possible d’accomplir le devoir dans sa perfection absolue, puisque l’union de l’âme avec le corps nous empêche, dans cette vie, d’être adéquats à la moralité. Et, de cette manière, l’existence de Dieu est également postulée par notre espérance d’un autre monde, où notre conduite morale pourra trouver sa récompense, où le bonheur viendra se joindre à la vertu. Certes, la démonstration est d’un tout autre ordre que celle dont on fait usage dans le domaine des sciences ; mais elle est seule appropriée à l’état actuel de l’homme dont la connaissance est bornée au monde des choses visibles et qui ne peut atteindre qu’au moyen de la « foi morale » les choses invisibles et les êtres spirituels. Nous devons croire en Dieu, à l’immortalité et à la liberté, sans réclamer une certitude mathématique ni une vue claire de ces objets. La conviction s’impose à chacun de nous infailliblement : jamais une âme vertueuse n’a pu supporter cette idée que tout finisse avec la mort, et ses nobles aspirations l’ont[2]

  1. (1) Loc. cit., p. 27.
  2. (2) Id., pp. 23, 24.