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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

découvrir par des raisonnements qui n’ont pas, il est vrai, une rigoureuse certitude (et qui plus est, même l’expérience interne de l’homme sur lui-même, ne lui permet pas de pénétrer la profondeur de son cœur au point de pouvoir acquérir, par sa propre observation, une connaissance entièrement sûre du principe des maximes qu’il professe, ni de leur pureté et de leur fermeté).

Si donc, à une certaine époque, un homme d’une inspiration morale véritablement divine, était comme descendu du Ciel sur la terre, offrant par sa doctrine, sa vie et ses souffrances, l’exemple d’un homme agréable à Dieu, autant qu’on peut le désirer d’une expérience externe (attendu que l’original d’un être de ce genre ne doit jamais être cherché ailleurs que dans notre raison), s’il avait, par tous ces moyens, apporté dans le monde un bien moral d’une grandeur incomparable, opérant dans le genre humain une révolution ; nous n’aurions pourtant pas de motifs d’admettre qu’il fût autre chose qu’un homme engendré naturellement (puisque ce dernier lui aussi se sent tenu d’offrir en lui-même un pareil exemple), ce qui pourtant ne serait pas nier absolument que cet homme aussi bien fût engendré de manière surnaturelle. En effet, sous le rapport pratique, l’hypothèse dernière n’est pour nous d’aucun avantage ; parce que, malgré tout, c’est toujours en nous-mêmes (hommes naturels cependant) qu’il faut chercher l’original que nous donnons à ce phénomène pour base, et l’existence de cet original dans l’âme humaine est, en elle-même, assez incompréhensible, pour qu’on n’ait pas besoin d’admettre, outre son origine surnaturelle, son incarnation dans un homme particulier (ihn… hypostasiert anzunehmen). Ce serait plutôt aller contre l’application pratique de l’Idée du Juste par excellence, qui doit nous servir de modèle, que d’élever ce Juste (solchen Heiligen) au-dessus de toute la fragilité de l’humaine nature ; tout, du moins, nous porte à juger ainsi.