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LA RELIGION DANS LES LIMITES DE LA RAISON

imiter, ni par conséquent, non plus, comme une preuve établissant la puissance que nous avons d’atteindre un bien moral si pur et si sublime (der Tkunlichkeit und Erreickbarkeit eines, etc.)[1].

  1. C’est sans doute une marque des limitations imposées à la raison humaine et qui en sont inséparables que nous ne puissions concevoir pour les actes d’une personne une valeur morale d’importance, sans nous représenter aussi d’une manière humaine cette personne et sa manifestation ; bien qu’à la vérité nous ne voulions pas affirmer par là qu’il en soit ainsi en soi (κατʼ ἀλήθειαν) ; car nous avons besoin, pour saisir des manières d’être (Beschaffenheilen) suprasensibles de recourir toujours à certaines analogies avec des êtres de la nature. Un poète philosophe attribue de la sorte à l’homme, parce qu’il doit combattre un penchant au mal qui se trouve en lui, et pour cette seule raison, à la condition qu’il sache le vaincre, un rang plus élevé sur l’échelle morale des êtres qu’aux habitants mêmes du Ciel, qui, en raison de la sainteté de leur nature, sont à l’abri de toutes les séductions possibles. (Le monde, avec ses défauts, ― est meilleur qu’un royaume peuplé d’anges sans volonté. Haller). ― L’Écriture aussi s’accommode de ce mode de représentation pour nous faire saisir l’amour de Dieu pour le genre humain et le degré jusqu’où cet amour est poussé, quand elle attribue à Dieu le plus grand sacrifice que puisse faire un être aimant pour rendre heureuses même d’indignes créatures ; (« Dieu a donc aime le monde, » etc.) : bien qu’il nous soit impossible, par la raison, de concevoir comment un être qui se suffit pleinement à lui-même peut sacrifier quelque chose, qui fait partie de son bonheur, et se dépouiller de ce qu’il possède (eines Besitzes). C’est là le schématisme de l’analogie (qui sert à l’explication) dont nous ne saurions nous passer. Mais le transformer en un schématisme de la détermination de l’objet (visant à l’extension de notre connaissance), c’est de l’anthropomorphisme qui, sous le rapport moral (dans la religion) a les conséquences les plus funestes. ― Je veux faire ici, en passant, cette simple remarque qu’en remontant du sensible au suprasensible, si l’on peut bien schématiser (rendre concevable un concept au moyen de l’analogie avec une chose sensible), on ne saurait aucunement conclure, en vertu de l’analogie, de ce qu’une chose appartient à l’un qu’elle doive être aussi attribuée à l’autre (ni étendre ainsi son concept) ; et cela, pour une raison très simple, c’est que toute analogie verrait se tourner contre elle une pareille conclusion qui, de la nécessité où nous sommes de nous servir d’un schème pour nous rendre un concept compréhensible (de l’appuyer sur un exemple), voudrait tirer la conséquence de la nécessité pour l’objet même de posséder en propre, et comme prédicat, ce qui est attribut sensible. De ce que, par exemple, il m’est impossible de concevoir (fasslich machen) la cause d’une plante (ou de toute créature organique et, généralement, du monde plein de fins) autrement qu’au moyen de l’analogie d’un ouvrier relativement à son œuvre (à une montre), c’est-à-dire autrement qu’en lui attribuant de l’entende-