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Cependant, en 1807, Aurore Dupin était moins frappée du côté commode de son costume masculin que de son éclat, de sa beauté et de la ressemblance qu’il lui donnait avec son père adoré et avec Murat qui la ravissait. Ce costume lui parut bientôt trop lourd, vu la grande chaleur qui régnait à Madrid, et elle l’échangea volontiers pour la robe noire espagnole qui composait sa toilette ordinaire et celle que portait sa mère à cette époque.

Cette belle vie ne dura pas longtemps ; le moment de la célèbre retraite d’Espagne était venu pour les troupes françaises. Mme Dupin et ses enfants (elle avait accouché à Madrid d’un enfant aveugle et malingre) eurent à éprouver les incommodités de l’insuccès de l’armée. La retraite ressemblait à une fuite. Épuisées par la chaleur, les troupes rentrèrent en France atteintes de la gale, déguenillées et affamées. Non moins triste était la position des voyageurs qui les accompagnaient ; ils se voyaient forcés de ne jamais demeurer d’un seul pas en arrière dans un pays dont la population en révolte et guerrière suivait de près l’ennemi en retraite. Les braves troupiers partageaient tout ce qu’ils avaient avec la pauvre et faible femme qu’ils voyaient inquiète du sort de ses enfants, mais leurs efforts ne pouvaient empêcher la petite famille de souffrir de la chaleur, de la faim, de la soif et de la maladie. Ils offraient cordialement leur soupe aux enfants, mais ils leur passaient aussi le mal dont ils souffraient eux-mêmes. Les enfants furent atteints de la gale, et les Dupin exténués, grelottant la fièvre, se traînèrent ainsi jusqu’à Nohant, la propriété berrichonne de la vieille Mme Dupin, qui les reçut à bras ouverts. La vieille dame accapara immédiatement Aurore, lui fit faire connaissance avec son frère naturel Hippolyte, l’installa dans son propre lit à baldaquin, immense, frais et moelleux, et se mit