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foi du vicaire savoyard, le Contrat social et les Discours de Jean-Jacques Rousseau servirent de dessert à cette nourriture aussi abondante qu’indigeste.

Dans l’Histoire de ma Vie, George Sand raconte éloquemment l’évolution produite en elle par ces lectures hétérogènes, et comment elles l’éloignèrent insensiblement de la religion, du moins du catholicisme. Ce dernier fait est certain. Quant à l’influence philosophique de tous ces écrivains sur le développement de sa pensée et de sa manière d’envisager le monde, il nous semble que des pages de l’Histoire où elle parle de ses lectures, on ne peut tirer que ceci : la jeune fille se jeta avec une curiosité avide sur tout ce qui lui tombait sous la main, mais elle ne put s’assimiler que ce qui était à la portée de sa jeune intelligence et de ses forces. Ce furent certainement les poètes, comme Chateaubriand, Byron, Milton, Molière, en partie aussi Shakespeare, qui la charmèrent le plus. Des œuvres d’art et d’exaltation poétique comme René ou le Génie du christianisme ; les désespérés et les désenchantés, comme Hamlet et les héros de Byron, comme Alceste et le Satan de Milton dans son étincelante et funeste beauté ; Rousseau avec ses sermons, prêchant la fraternité, la vie simple et le retour à la nature, avec ses déclamations enflammées, voilà ce qui a dû entraîner l’artiste inconscient qui sommeillait dans la jeune fille. Franklin (George Sand ne parle pas de lui dans les pages citées de l’Histoire de ma Vie, mais elle le lisait alors avec enthousiasme)[1] a dû certai-

  1. Voir sa lettre à Sainte-Beuve du 4 avril 1835, avec une suite du 14 avril. Ces lettres ont été publiées par Charles de Loménie dans la Nouvelle Revue de 1895, reproduites par le vicomte de Spoelberch, dans sa Véritable histoire et réimprimées dans le volume des Lettres à Musset et Sainte-Beuve, édité par Levy. Plus loin nous aurons l’occasion d’y revenir, en citant les paroles de George Sand à propos de sa lecture de Franklin. Voir les chapitres vii et x.