Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/219

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pas, plongée dans la contemplation de la nature et dans une rêverie qu’André ne se permettait jamais d’interrompre par la moindre réflexion.

Ces promenades journalières, au milieu de ces réveils de la nature embaumée de fraîcheur, éveillèrent le poète dans l’âme endormie de la jeune fille. Tout ce qui frappait sa vue dans ses chevauchées au pas ou au galop, trouvait son écho dans cette âme délicate et sensitive. Tout l’impressionnait et se gravait dans son imagination et sa mémoire : nuance de feuillage ; teinte des nuages ; murmure du ruisseau qu’elle devait traverser à gué ; cris des oiseaux voyageurs ; patois caractéristique, ce vieux parler français des villageois berrichons qu’elle rencontrait ; bêlement des brebis et clochettes des troupeaux paissant le long du chemin ; ombrage verdàtre et transparent des traînes, ou les guérets dorés par le soleil. S’il n’y avait pas eu pour Aurore nécessité de rentrer au château, elle eût, pendant des journées entières, parcouru avec plaisir les champs et les forêts, s’abandonnant au hasard, en vrai artiste, au charme de ses diverses impressions et de ses rencontres inattendues.

Outre ces courses à cheval, Deschartres, lorsqu’il allait à la chasse, se faisait accompagner par Aurore. Il avait toujours regretté qu’elle ne fût pas un garçon, et les robes seules de la jeune fille l’avaient empêché, semble-t-il, de la traiter en jeune homme. Comme les vêtements de femme de l’Empire et de la Restauration, ressemblaient plutôt à des gaines qu’à des robes qui auraient permis de franchir commodément et décemment les fossés et de courir dans les sentiers étroits, Deschartres lui conseilla de se vêtir en garçon. Elle se rappelait encore trop bien son uniforme « d’aide de camp de Murat » et il y avait trop peu de temps