Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/29

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de rendre tout refus impossible. Prends garde de te repentir de ta politesse, car, en vérité, tu ne pouvais t’adresser plus mal… » George Sand consentit donc, mais restant fidèle à elle-même, elle écrivit, avec le sang de son cœur, des pages profondément vécues. On y reconnaît la fille spirituelle de J.-J. Rousseau et la sœur de l’illustre auteur qui, de nos jours, prêche aux hommes la vie simple, tout animée de l’amour du prochain, la guerre à l’égoïsme, à l’intolérance, à toute oppression, sous quelque forme qu’ils se présentent.

En parlant des jouissances artistiques et matérielles, des avantages de la vie civilisée, des fêtes, du luxe, des œuvres d’art, ainsi que des hommes qui prétendent seuls être « le monde » elle s’écrie : « Oui, l’humanité a droit à ces richesses, à ces plaisirs, à ces satisfactions matérielles et intellectuelles. Mais c’est l’humanité, entendez-vous, c’est le monde des humains, c’est tout le monde qui doit jouir ainsi des fruits de son labeur et de son génie, et non pas seulement votre petit monde qui se compte par têtes et par maisons. Ce n’est pas votre monde de fainéants et d’inutiles, d’égoïstes et d’orgueilleux, d’importants et de timides, de patriciens et de banquiers, de parvenus et de pervertis : ce n’est pas même votre monde d’artistes vendus au succès, à la spéculation, au scepticisme et à une monstrueuse indifférence du bien et du mal. Car, tant qu’il y aura des pauvres à notre porte, des travailleurs sans jouissance et sans sécurité, des familles mourant de faim et de froid dans des bouges immondes, des maisons de prostitution, des bagnes, des hôpitaux auxquels vous léguez quelquefois une aumône, mais dans lesquels vous n’oseriez pas entrer, tant ils diffèrent de vos splendides demeures, de mendiants auxquels vous jetez une obole,