Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/31

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doctrine… » Et après une description incisive de l’ennui, du vide, du luxe insensé et de la dépravation des mœurs de toute réunion mondaine, George Sand dit, comme l’auteur de la Danse macabre au moyen âge : « Et il me semblait voir mêlés ensemble, dans une sorte de cave située sous les pieds des danseurs, les cadavres des riches qui se brûlent la cervelle après s’être ruinés[1], et ceux des prolétaires qui sont morts de faim à la peine en amusant ces riches en démence… » Par leur profonde amertume et leur sombre poésie, ces paroles semblent être vraiment sorties de la bouche d’un prophète. Tout aussi sombre est la fin de cette ardente improvisation : « Et je rentrai dans ma chambre silencieuse et sombre, et je me demandai pourquoi, comme tant d’autres artistes insensés qui croient s’assurer une méditation paisible, un travail facile et agréable, et donner une couleur poétique à leurs rêves en faisant quelques frais d’imagination et de goût pour enjoliver modestement leur demeure, j’avais eu moi-même quelque souci de me cloîtrer contre le bruit et de placer sous mes yeux quelques objets d’art, types de beauté ou gages d’affection. Et je me répondis que je ne valais donc pas mieux que tant d’autres, qu’il était bien plus facile de dire le mal que de faire le bien. Et j’eus une telle horreur de moi-même, en pensant que d’autres avaient à peine un sac de paille pour se réchauffer entre quatre murs nus et glacés, que j’eus envie de sortir de chez moi pour n’y jamais rentrer. Et s’il y avait eu, comme au temps du Christ, des pauvres préparés à la doctrine du Christ, j’au-

  1. En lisant ces lignes, on se rappelle involontairement Rolla à l’épisode réel qui a amené la création de cette œuvre. Voir à ce sujet : la Biographie d’Alfred de Musset, par Paul de Musset, et Alfred de Musset par Paul Lindau.