Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T1.djvu/350

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bran[1], ou voir un nouveau drame de Victor Hugo ; de la bibliothèque où elle dévorait à l’instant tout ce qui paraissait, ou ce qu’elle ignorait des grandes œuvres littéraires, elle allait errer dans le vieux Paris, dont raffolaient les romantiques, ou assister à quelque réunion saint-simonienne[2]. Tout l’intéressait, tout l’attirait. Chaque jour il arrivait à Aurore de faire la connaissance de quelque personnalité plus ou moins célèbre du monde littéraire ou artistique de Paris. Elle se réjouissait de chaque nouvelle relation sortant de l’ordinaire, espérait toujours — comme elle le dit avec beaucoup de candeur — entendre quelque chose de bon, de beau et « devenir meilleure ». Dans toute personne éminente, écrivain ou artiste, elle saluait une nouvelle « lumière », de chacune elle attendait « une nouvelle parole », une idée profonde, une révélation.

Recherchant partout quelque manifestation éclatante du génie humain, elle ne soupçonnait pas que cette soif de lumière, cette ardeur intarissable, qui tendait à s’ouvrir des horizons nouveaux, encore confus pour elle, ce vif désir de savoir, d’élargir ses vues, que tout cela la distin-

  1. À la fin de janvier 1831, elle écrit à son mari : « J’ai été assez malade d’un rhume, mon ami. Mais je vais bien et je commence à aller au spectacle. J’ai vu le Napoléon de Dumas à l’Odéon. La pièce est pitoyable, et Frédéric Lemaître est bien inférieur à Gobert dans ce rôle… J’ai été hier aux Italiens… J’ai vu Mme  Malibran dans Otello. Elle m’a fait pleurer, frémir, souffrir enfin, comme si j’eusse assisté à une scène réelle de la vie. Cette femme est le premier génie de l’Europe. Belle comme une vierge de Raphaël, simple, énergique, naïve, c’est la première cantatrice et la première tragédienne. J’en suis enthousiaste. J’ai été avec les Périgny voir l’exposition du Luxembourg… Je vais ce soir entendre Moïse à l’Opéra. Demain j’irai au Gymnase, et puis je me reposerai des spectacles et je travaillerai pendant une quinzaine de jours… »
  2. Au mois de février 1831, elle écrit encore à son mari : « Croirais-tu que je n’ai pas eu le temps d’aller entendre les Saint-Simoniens ? Mme  de Périgny y est assidue, quoiqu’elle voie dans leur doctrine le renversement de tout ordre social et des flots de sang à faire couler.