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mour, quoi qu’on donne cette pièce sur la scène[1]. Musset lui-même regardait ses pièces comme bonnes tout au plus pour un « spectacle dans un fauteuil », c’est-à-dire pour être lues. Aldo semble être aussi une petite pièce tirée du « spectacle dans un fauteuil », une vraie œuvre de poésie où l’auteur ne se soucie aucunement de l’effet à produire sur la scène. Tout cela est trop délicat, trop poétique et perd sous le fard, à la lumière de la rampe, c’est une œuvre trop finement écrite pour la foule qui remplit une salle de théâtre.

Il y a toujours eu et il y aura toujours beaucoup de femmes écrivains, mais nous n’avons jusqu’ici qu’une seule femme-poète, c’est George Sand, et, c’est ce trait-là qui la fait ressortir de la pléïade des noms connus et célèbres. Il existe beaucoup de belles œuvres littéraires signées de noms de femmes, mais on peut les placer toutes sur les confins entre l’art vrai et les contes de la littérature courante. Des œuvres comme Aldo, l’Orco, Gabriel sont de la vraie poésie, de l’art vrai ; voilà pourquoi George Sand se trouve être complètement hors ligne, et dépasse de toute la tête les nombreux talents et demi-talents féminins. On peut trouver parfois, il est vrai, que ses œuvres ont vieilli, surtout sous le rapport de la forme ; mais elles n’auront jamais le sort de ces livres des romancières qui n’ont qu’un intérêt d’actualité, et qui au bout de cinquante, parfois de trente ans, ou même de dix ans, semblent démodés,

  1. M. de Spoelberch attire l’attention sur le fait curieux que la phrase la plus célèbre de Perdican, le héros de la pièce (phrase, remarquons-le à notre tour, citée fréquemment comme profession de foi de Musset lui-même dans les biographies étrangères du poète) : « J’ai souffert longtemps, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé ! C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil ou mon ennui », est tout entière empruntée par Musset à une lettre que George Sand lui écrivit de Venise, le 12 mai 1834.