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famille de son mari. Or, le vieux Jules craignant que son perfide mensonge ne se découvre, se résout, n’importe comment, à se rendre maître de Gabrielle, morte ou vive. La jalousie d’Astolphe vient en aide à son projet criminel ; un bravo tue Gabrielle au moment où celle-ci, échappée à la tutelle de sa belle-mère, pense à en finir volontairement avec la vie, car elle ne croit plus au bonheur et se sent incapable de vivre, en un esclavage éternel, sans liberté et sans posséder la confiance de son mari.

Ce roman dialogué est tout palpitant de vie, l’action se déroule rapidement ; les caractères d’Astolphe et de Gabrielle sont vivement esquissés, et la lutte de cette âme honnête, ouverte et courageuse contre son entourage est tracée de main de maître. Le lecteur se pose avant tout cette question : Pourquoi Gabrielle a-t-elle péri ? Et l’auteur lui répond : C’est que tout ce qui est considéré comme vertu et inculqué à l’homme comme tel, porte malheur à la femme et lui rend la vie impossible. Tant que Gabrielle est en habits d’homme, — tout va bien ; mais dès qu’elle a revêtu la robe propre à son sexe, toutes ses qualités deviennent des défauts, comme si, pour les êtres humains de sexes différents, il dût y avoir deux codes de morale opposés. La question, le lecteur le voit, est très intéressante. Elle apparut, sans doute, à l’esprit de George Sand pendant le séjour qu’elle fit à Majorque avec Chopin, cet artiste si aristocratiquement exigeant, si maladivement susceptible. Arrivée à Gênes et ressaisie par le souvenir de Musset, George Sand fit revêtir à son thème la forme des pièces de ce poète, et il faut lui rendre justice, elle y atteint presque la perfection. Un an après, en 1840, Balzac, après avoir lu cette pièce, disait à George Sand, dans une lettre inédite encore, qu’il trouvait l’œuvre superbe et