Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/16

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reux, et je m’imagine que ces trois petits mots résonnent dans ton âme comme dans la mienne, que pour toi et pour moi, ils ont la même valeur. Faut-il davantage ? Nous nous jurons et affirmons passionnément qu’il en est ainsi. Combien les amoureux sont prodigues de phrases dans le genre de celles-ci : « Je t’aime avec la même passion que tu m’aimes. Mes sensations sont les mêmes que les tiennes. »

« La même », « les mêmes ! » Pauvres insensés ! Qui donc a pesé, mesuré, qui vous a donc dit que rien que le mot « de même » fait également vibrer vos nerfs auditifs ? L’homme ne peut sortir de son moi, ne peut s’abstraire de ses yeux, de ses oreilles, de ses nerfs, de son cerveau, il est leur éternel esclave, emprisonné en eux comme dans une carapace impénétrable, et autour de lui, enfermées aussi dans leur individualité comme dans une coquille, d’autres âmes humaines ! Et ces âmes s’imaginent qu’elles se comprennent et se connaissent ! Certes, on ne peut nier que, malgré les nuances qui se diversifient presque à l’infini entre les individualités, il n’y ait souvent entre elles similitude de natures, que la même éducation, les mêmes goûts, et surtout la même manière d’exprimer en paroles nos idées et nos goûts nous portent à nous faire sentir que nous sommes plus près des uns et plus éloignés des autres, que nous nous mettons lentement à l’unisson de quelques-uns, tandis que nos sympathies pour d’autres naissent comme un coup de foudre. Mais c’est là justement qu’est le danger. La sympathie, l’amitié, l’ardeur à y arriver sont précisément ce qui nous fait le plus facilement perdre de vue qu’une union parfaite, que l’identité ne peut être qu’une chimère. Et notre amour est-il donc autre chose que le rêve ininterrompu de cette identité, de cette union, la soif de les acquérir, la foi en la réussite ? Plus forte sera cette