Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/215

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par terre en pleurant quand le moindre bengali gazouille, et qui fait une émeute au théâtre pour empêcher Othello de tuer la Malibran ! Le citoyen austère veut supprimer les artistes, comme des superfétations sociales qui concentrent trop de sève ; mais monsieur aime la musique vocale et il fera grâce aux chanteurs. Les peintres trouveront bien, j’espère, une de vos bonnes têtes qui comprendra la peinture et qui ne fera pas murer les fenêtres des ateliers. Et quant aux poètes, ils sont vos cousins, et vous ne dédaignez pas les formes de leur langage et le mécanisme de leurs périodes quand vous voulez faire de l’effet sur les badauds. Vous irez apprendre chez eux la métaphore et la manière de s’en servir… »

(On pourrait voir ici, semble-t-il, une allusion à la part que George Sand a prise à la lettre de Michel aux accusés.)

« … Mais dis-moi pourquoi, continue-t-elle, vous en voulez tant aux artistes. L’autre jour, tu leur imputais tout le mal social, tu les appelais dissolvants, tu les accusais d’attiédir les courages, de corrompre les mœurs, d’affaiblir tous les ressorts de la volonté. Ta déclamation est restée incomplète et ton accusation très vague, parce que je n’ai pu résister à la sotte envie de discuter avec toi. J’aurais mieux fait de t’écouter : tu m’aurais donné sans doute quelque raison plus sérieuse, car c’est la seule chose avancée par toi qui ne m’ait pas fait réfléchir depuis, quelque antipathique qu’elle me pût être… Est-ce à l’art lui-même que tu veux faire le procès ? Il se moque bien de toi, et de vous tous, et de tous les systèmes possibles ! Tâchez d’éteindre un rayon du soleil… Si ce n’est pas l’art que tu veux tuer, ce ne sont pas non plus les artistes. Tant qu’on croira à Jésus sur la terre, il y aura des prêtres… de même, tant qu’il y aura des mains ferventes, on entendra