Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/229

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dès son jeune âge, prit-il les manières et le langage de la haute société, le goût de l’élégance et des belles manières. Malgré tout cela, il fut cependant par ses convictions, ses sympathies et ses tendances, un vrai démocrate, ennemi de tout ce qui est conventionnel, de tous les privilèges de caste, et s’il sympathisait avec l’aristocratie, ce n’était qu’avec celle de l’esprit. Son vernis extérieur, son amour de la vie élégante ne l’empêchèrent nullement de se dévouer à toutes les larges idées de son époque, de se faire le défenseur de tous les humbles et de tous les opprimés, de venir à leur aide en paroles et en action, et de lutter contre n’importe quels préjugés.

Dans sa jeunesse, il souffrit comme Chopin, de l’injustice et de l’oppression de ces préjugés de caste, lorsqu’on lui défendit d’avoir, même en pensée, des vues sur une jeune fille, Caroline de Saint-Criq, son élève, qu’il aimait et dont il était aimé, et cela, pour l’unique raison qu’il était plébéien, tandis qu’elle était comtesse. Ce coup l’abattit et lui ouvrit les yeux sur bien des choses. La même aventure arriva à Chopin. La comtesse Wodzinska lui refusa sa main et, sur l’ordre de ses parents, épousa un homme qu’elle n’aimait point, mais qui était titré. Chopin se soumit à son sort ; il ne ressentit aucune haine contre les préjugés aristocratiques et les représentants du grand monde, mais il en fut tout autrement de Liszt. Ses amis démocrates excitèrent et attisèrent son indignation et son animosité contre les nobles, contre les présomptions hautaines et le manque de cœur, qui lui avaient fait perdre à jamais la jeune fille qu’il aimait et avaient causé le malheur de cette dernière[1]. Son dépit, son amour blessé portèrent

  1. Le sort de cette noble femme fut fort triste et bien triste aussi la rencontre, quinze ans plus tard, de ces deux êtres jadis pleins d’espoir et