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Liszt dédia le Rondo à George Sand : « à Monsieur George Sand » (édition de Leipzig, 1837), « à Madame George Sand » (édition de Vienne, 1839). Aussitôt après avoir terminé sa pièce, Liszt la joua un soir d’automne à George Sand assise dans l’obscurité à la fenêtre et fumant sa cigarette.

… « L’auditeur, ému par la musique, mi peu enivrée par la fumée du canaster, par le murmure du Léman expirant sur ses grèves, se laissa emporter au gré de sa propre fantaisie jusqu’à revêtir les sons de formes humaines, jusqu’à dramatiser dans son cerveau toute une scène de roman. Il en parla le soir à souper et tâcha de raconter la vision qu’il avait eue ; on le mit au défi de formuler la musique en parole et en action. Il se récusa d’abord, parce que la musique instrumentale ne peut jamais avoir un sens arbitraire : mais le compositeur lui ayant permis de s’abandonner à son imagination, il prit la plume en riant et traduisit son rêve dans une forme qu’il appela lyrico-fantastique, faute d’un autre nom, et qui après tout n’est pas plus neuve que tout ce qu’on invente aujourd’hui[1] ».

Selon son habitude George Sand passa toute la nuit à écrire, et le lendemain elle lut à ses amis Le Contrebandier, conte lyrique, dans lequel elle s’était plu à reproduire les tableaux fantastiques que l’œuvre de Liszt avait inspirés à son imagination…

« La traduction poétique d’une œuvre musicale, — c’était quelque chose de nouveau, dit Lina Ramann, — les musiciens ont bien puisé de tous les temps aux sources poétiques, mais le contraire n’était jamais arrivé… » Et Jules Janin (dans le n° 9 de la Gazette Musicale de Paris

  1. « Le Contrebandier ». (Œuvres complètes de George Sand, » éd. Lévy, vol. La Coupe, p. 265-266.)