Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/376

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vie des sons à la vie de cette belle femme pâle, qui semblait prête à s’envoler vers les régions de l’intarissable harmonie. Elle se leva, glissa par un inexplicable mouvement d’ascension vers le haut du perron et disparut dans la salle ténébreuse. Un instant après, nous vîmes une vraie châtelaine du moyen âge traverser la salle voisine à la clarté des flambeaux. Sa chevelure blonde rayonnait comme une auréole d’or, et son voile blanc jeté sur ses épaules voltigeait comme un nuage dans ce mouvement rapide et léger de sa démarche impérieuse. Les doigts errants sur le piano firent silence. Les flambeaux s’éteignirent et la vision rentra dans la nuit… »

« C’étaient là — dit à son tour Liszt — trois mois d’une vie intellectuelle dont j’ai gardé religieusement les moments dans mon cœur. »

Mais alors que le poète et le musicien rêvaient en goûtant leur farniente, la blanche vision pensait souvent à des choses plus réelles. « C’est alors, dit encore Liszt, qu’apparaissait celle qui, comme le dit Obermann, « est digne de ne pas être nommée », et nous disait : « Il est temps de se mettre au travail, paresseux ! »… Le lecteur y reconnaît la comtesse, toujours préoccupée de son rôle de guide et d’inspiratrice de Liszt, toujours prête à l’encourager ou à le pousser au travail. Beaucoup de femmes considèrent ceci comme une preuve de leur influence « bienfaitrice et ennoblissante ». La comtesse arrachait donc assez prosaïquement le compositeur à ses rêves poétiques et le ramenait dans le monde de la réalité.

Et alors, plus tard, dans la nuit, lorsque tout le monde s’était retiré, Liszt et George Sand s’asseyaient à une même table pour travailler à la lumière de la même petite lampe : elle, mettant la dernière main à Mauprat et com-