Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/45

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condescendaient même parfois jusqu’à flirter avec le jeune poète. Ou plutôt le jeune favori du sort condescendait avec elles au jeu de l’amour, feignant de s’être laissé prendre dans le filet de partenaires enchanteresses. À peine âgé de dix-huit ans, chez lui les histoires d’amour se succédaient de près l’une à l’autre, c’était comme un chapelet d’aventures plus ou moins intéressantes. « Il y en avait de boccaciennes et de romanesques, quelques-unes approchant du drame. En plusieurs occasions, je fus éveillé au milieu de la nuit pour donner mon avis sur quelque grave question de haute prudence. Toutes ces historiettes m’ayant été confiées sous le sceau du secret, j’ai dû les oublier ; mais je puis affirmer que plus d’une aurait fait envie aux Bassompierre et aux Lauzun…[1]. » De sérieux, il n’y avait évidemment rien dans ces « historiettes ». Musset, il est vrai, avait commencé à s’éprendre sérieusement de la charmante Mme  du Groiselliez, mais ce ne fut que très passagèrement, et il n’en resta d’autre souvenir dans l’âme du poète qu’un peu d’amertume et d’humiliation. Depuis lors, il n’avait donné son cœur à personne. Et à qui l’eût-il donné ? Serait-ce parmi les charmantes héroïnes de ses « historiettes » sans nombre, que cette âme poétique et passionnée eût pu se faire comprendre, eût trouvé des sentiments à sa hauteur, un cœur de flammes comme le sien, une âme pareille à la sienne qu’il cherchait instinctivement.

Le sort allait heureusement lui faire rencontrer une autre grande âme, une femme non seulement différente des femmes ordinaires, mais se distinguant encore du cercle exceptionnel, où elle vivait, par son esprit, ses

  1. Paul de Musset. Biographie d’Alfred de Musset, p. 93.