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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T2.djvu/96

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soutenue pendant tout un mois, passé sans sommeil, dans l’agitation et les soucis de tous les moments. Elles l’abandonnèrent et firent place à une prostration complète ; sa vue était « si usée par les veilles qu’elle eut une espèce d’hallucination oculaire, elle voyait tous les objets renversés, et particulièrement les enfilades de ponts des petits canaux, qui se présentaient comme des arcs retournés sur leur base »[1]. Travailler en cet état de surmenage, il ne fallait pas y penser. Sur ce, arriva l’admirable printemps italien. George Sand sentait l’absolue nécessité de se reposer et de reprendre de nouvelles forces. Elle endossa sa chère blouse bleue, prit un bâton et fit avec Pagello un petit voyage dans les Alpes vénitiennes qu’il parcoururent en tous sens jusqu’au Tyrol[2]. Ils faisaient jusqu’à sept ou huit lieues par jour, se reposaient dans les rustiques auberges villageoises, sans craindre ni les ardeurs du soleil, ni le mauvais temps, et George Sand semblait humer par tous les pores de son être les adorables effluves du printemps méridional dans ce sauvage pays montagnard. Elle a su les rendre, en un merveilleux langage enthousiaste et poétique, dans les premières Lettres d’un voyageur. Mme Sand et Pagello ne revinrent à Venise que lorsque les vêtements vinrent à leur manquer et qu’ils furent à court d’argent[3]. « Je suis rentrée à Venise avec sept centimes dans ma poche ! » écrit-elle à Boucoiran, ajoutant

  1. Histoire de ma Vie, t. IV, p. 189.
  2. Nous trouvons dans la lettre du Dr Pagello au prof. Ercole Moreni l’indication suivante : « Nous partîmes pour Bassano, nous allâmes à la grotte Parolini (près Oliero), à Crespano et revînmes à Bassano… » G. Sand dit à Boucoiran qu’elle « visita encore les bords de la Brenta ».
  3. On voit par une lettre inédite d’Aurore Dudevant à son mari, datée du 6 avril, que le voyage se fit entre le 1er et le 6 avril. (Maintenant publiée par M. de Spoelberch.)