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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/114

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Marseille, 15 mars 1839.

… Je m’occupe aussi de mes enfants plusieurs heures par jour, ils sont paresseux, mais intelligents. J’ai retrouvé Rey, que vous connaissez peut-être, qui était lié avec Liszt et qui est venu à Nohant. C’est un bon garçon, passablement instruit et intelligent, qui me seconde en leur donnant des leçons. La nuit, je gribouille comme de coutume, je suis assaillie ici comme à Paris.

Du matin au soir, oisifs, curieux et mendiants littéraires assiègent ma porte de leurs lettres et de leurs personnes. Je me tiens sur la défensive, inflexible, ne réponds, ni ne reçois, et me fais passer pour malade. Ne soyez pas effrayée s’il vous vient de ce pays la nouvelle que je suis mourante ; quand ils sauront que je me porte bien, je crois qu’ils seront furieux, car moins que partout ailleurs on comprend ici l’horreur que peut inspirer la populacerie littéraire et le charlatanisme de la réputation. Il y a cohue à ma porte, toute la racaille littéraire me persécute et toute la racaille musicale est aux trousses de Chopin. Pour le coup, lui, je le fais passer pour mort, et si cela continue, nous enverrons partout des lettres de faire part de notre trépas à nous tous les deux, afin qu’on nous pleure et qu’on nous laisse en repos. Nous pensons nous tenir cachés dans les auberges tout ce mois de mars, à l’abri du mistral qui souffle de temps en temps assez vivement. Au mois d’avril nous louerons dans la campagne quelque bastide meublée. Au mois de mai, nous irons à Nohant…[1].

Le doux climat et le soleil guérirent bientôt Chopin presque complètement. Le docteur Cauvières était un interlocuteur des plus agréables et un ami dévoué et paternel ; bientôt il devint aussi un fervent de Pierre Leroux, ce qui le lia encore plus avec Mme Sand. Au mois d’avril, Chopin se sentit si bien, qu’il put accompagner Mme Sand et ses enfants dans une petite échappée à Gênes. Nous avons déjà dit dans notre chapitre ix (vol. II) que ce court séjour à Gênes, qui évoqua dans l’âme de la romancière les souvenirs de son premier voyage en Italie, donna naissance à Gabriel, l’une de ses œuvres les plus sympathiques, que Balzac, comme nous l’avons dit à la même page, considérait comme le meilleur drame de George Sand, et qui, en même temps, par sa forme et sa manière, rappelle beaucoup certaines œuvres dramatiques de Musset.

  1. Inédite.