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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/194

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du moment. Je respirais à peine ; j’étouffais, mon cœur était serré par la peur. La flamme de la pâle lampe tremblait, les charbons dans la cheminée se réduisaient en une cendre blanchâtre et pétillante ; le tic tac chimérique (geisterhaft) de la pendule était le seul bruit de vie. Quelque chose battait aussi dans la poche de mon gilet. Ce n’était point mon cœur, mais bien ma montre. J’étais assis dans un fauteuil.

— Excusez mon mauvais français. J’ai trop lu vos romans, j’ai très peu lu les œuvres de Scribe. On apprend, en vous lisant, le langage muet de la poésie, chez Scribe, la langue parlée.

— Comment vous plaît Paris ?

— Je le trouve tel que je m’y attendais. Mais un procès comme le vôtre, c’est, en tout cas, quelque chose de nouveau. Comment avance-t-il ?

Un sourire amer pour toute réponse.

— Qu’est-ce que cela veut signifier en France : forcer corporellement ?

— La prison.

— On ne mettra donc point en prison une femme pour la forcer à écrire un roman. Qu’entend votre éditeur par ses opinions ?

— Celles qui ne ressemblent pas aux miennes. Je suis devenue trop démocrate à son gré.

Et les ouvriers n’achètent pas de romans, pensai-je.

— La Revue indépendante est-elle bien répandue ?

— Très suffisamment, pour une si jeune revue. C’est justement Buloz, de la Revue des Deux Mondes, qui veut me forcer à écrire un roman pour lui.

Ici j’aurais pu dire beaucoup contre la tendance des nouveaux romans de George Sand, mais cela eût été indiscret.

— Êtes-vous auteur dramatique ?

— J’ai essayé de trouver pour la littérature contemporaine un passage, ou comment faut-il dire ? une rentrée sur le théâtre. C’est un excellent moyen pour voir jusqu’à quelles limites peut s’avancer la littérature. Le roman s’avance plus que ne le peut suivre la foule. Pour rattraper le roman, il faut avoir recours au drame. Face à face avec le public, on apprend à apprécier ce qu’il faut donner pour être compris de la multitude.

— Avez-vous de bons acteurs en Allemagne ?

— D’aussi grands talents que chez vous en France, mais les emplois sont moins développés. Notre troupe d’opéra, si elle eût chanté ici avant son départ pour Londres, eût donné à penser aux Italiens.

— La Malibran et la Pasta y étaient venues. Avez-vous été au Théâtre-Français ?

— Pour n’y jamais retourner, du moins pour la tragédie.

— Notre tragédie a vraiment beaucoup vieilli, dit George Sand.