Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/201

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Puis Mme d’Agoult l’emporta avec elle à Nohant, ou même, comme elle le dit, elle le « vola » pour le faire lire à George Sand, et cette dernière, après l’avoir lu, mit ses observations sur les marges du manuscrit, comme toutes les deux l’apprennent à Mickiewicz dans les lettres suivantes, publiées par M. Ladislas Mickiewicz dans les Mélanges posthumes[1].


Monsieur,

Je me suis permis de tracer quelques mots à la plume, à côté des mots au crayon que j’ai trouvés sur les marges de votre manuscrit. Je ne sais pas de qui sont ces corrections, mais je ne puis pas m’empêcher de les trouver mauvaises pour la plupart, et de penser que vous connaissez beaucoup mieux la force et l’énergie de notre langue que la personne chargée par vous de ces rectifications. Je ne me permettrai pas de porter un jugement sur l’ensemble de votre ouvrage : en fait de drame, je ne suis pas un juge compétent. D’ailleurs, j’ai une telle admiration et une telle sympathie pour tout ce qui est de vous, que, s’il y avait à reprendre dans ce nouvel œuvre, je ne pourrais pas m’en apercevoir. Je ne vous parlerai donc que du style. Dans les endroits où le style domine Faction, il m’a semblé aussi beau que celui d’aucun écrivain supérieur de notre langue ; dans les endroits où nécessairement l’action domine le style (sauf quelques incorrections qu’il est même puéril de mentionner, tant elles vous sont faciles à faire disparaître), le style m’a paru ce qu’il devait être seulement un peu trop brisé, surtout à cause du caractère particulier du rôle du palatin, dont l’énergie d’expression est précisément dans l’omission

  1. Il les munit, comme on le sait, d’innombrables commentaires, introductions, avant-propos, préfaces, postfaces, appendices, au milieu desquels les œuvres mêmes de son père n’occupent que fort peu de place. Au dire de la critique française, les œuvres d’Adam Mickiewicz sont quasi noyées dans cette masse de suppléments. Mais si l’on considère tous ces suppléments comme une œuvre littéraire elle-même, il faut les apprécier comme des documents littéraires du plus haut prix, contenant des données biographiques très précises et très complètes sur Adam Mickiewicz, la critique de toutes ses biographies parues jusqu’alors (la Biographie, en quatre volumes, écrite en polonais par M. Ladislas Mickiewicz lui-même, ne parut qu’entre 1892 et 1896), des notes extrêmement intéressantes sur la plupart de ses œuvres, des détails sur une foule d’écrivains, d’hommes politiques et d’œuvres d’art polonais, des renseignements, des indications, des parallèles historiques les plus divers, et enfin des séries de pages, consacrées à la question russo-polonaise. N’était la crainte d’avancer un paradoxe, nous dirions même qu’au fond ces deux volumes, c’est l’histoire de la question russo-polonaise expliquée par les deux Mickiewicz, le père et le fils.