Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/222

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plein de cœur, de génie et d’enthousiasme, parfaitement maître de lui-même, dans la vie ordinaire, et raisonnant à son point de vue avec beaucoup de supériorité. Mais porté à l’exaltation par la nature même de ses croyances, par la violence de ses instincts un peu sauvages, le sentiment des malheurs de sa patrie et cet élan prodigieux d’une âme poétique qui ne connaît pas d’entrave à ses forces et se précipite parfois à cette limite du fini et de l’infini, où commence l’extase. Jamais le drame terrible qui se passe alors dans l’âme du poète n’a été décrit par aucun d’eux avec la puissance et la vérité qui font de Konrad une œuvre capitale. Personne, après l’avoir lu, ne peut nier que Mickiewicz soit extatique…

Nous trouvons des pages non moins intéressantes dans les Impressions et Souvenirs, publiées en 1873, comme les autres morceaux de cette série, mais écrites encore en janvier 1841. Nous y voyons reflétées les individualités de Mickiewicz, de Chopin et de Delacroix, leurs relations réciproques, l’atmosphère si artistique au milieu de laquelle vivaient entre 1840 et 1846 George Sand et Chopin ; l’auréole mystérieuse qui entourait la personne de Mickiewicz aux yeux de Chopin, comme à ceux de George Sand, enfin nous y voyons surtout l’influence directe des opinions et des doctrines musicales de Chopin sur la romancière, opinions qui sont en beaucoup de points diamétralement opposées à celles, inspirées alors par Liszt, qu’elle exprimait dans les feuillets de ce même Journal de Piffoël en l’été de 1837[1].

« J’ai passé la moitié de la journée avec Eugène Delacroix », dit George Sand, et raconte plus loin comment elle trouva un jour Delacroix tout malade ; il avait son mal de gorge habituel,

  1. Cf. George Sand, sa vie et ses œuvres, t. II, p. 358-360. Des discussions sur la musique descriptive que George Sand rapporte dans ses Impressions et Souvenirs, il ressort d’une manière absolument claire pour tout lecteur contemporain, que Chopin — comme un grand subjectiviste qu’il était — niait complètement et ne comprenait point que la musique puisse rendre les tableaux de la nature tout objectifs, trouvant leur expression dans les compositions dites à programme, les « poèmes symphoniques » descriptifs. Qui comprenait d’une manière exquise la différence entre la musique à programme et la musique absolue ou abstraite, ce fut Tchaikowski. (V. la Vie de Pierre Iliytch Tchaikowski, par Modeste Tchaikowski, t. II, p. 237 ; Lettre à Mme N. de Meck, datée du 5 décembre 1878, où il donne une définition profonde des deux genres.)