Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/233

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la voix merveilleuse, douée d’un talent musical rare, se manifestant dans toutes les branches de musique, et d’un talent dramatique non moins extraordinaire ; d’un extérieur si original, point belle, mais captivante, éclairée par le reflet de ce feu divin qui se trahissait dans chacun de ses regards, dans chacun de ses mouvements ; une âme de flamme sous des manières presque froides ; un esprit hors ligne, d’une culture profonde, d’une instruction solide, qui s’intéressait à tout, à la philosophie, à la politique, à la littérature, à tous les autres arts. Elle fit vibrer toutes les cordes sympathiques de l’âme artiste de George Sand, et malgré la différence d’âge, une amitié étroite lia pour de longues années ces deux grandes femmes. Leur première rencontre date des débuts de Mlle Pauline Garcia en 1838, débuts qui, comme on le sait, lui attirèrent l’article enthousiaste d’Alfred de Musset. En cette même année de 1838 débuta Rachel à laquelle Musset consacra aussi des lignes sympathiques, ayant d’emblée senti en elle un talent hors ligne. Eh bien, Mme Viardot raconta à un de nos amis que, présenté à elle et à sa mère, Musset la voyait souvent dans le monde : il se mit à lui faire la cour, tout en courtisant en même temps et sa mère et Mlle Rachel. Il remporta la victoire sur Rachel, comme on le sait. La très jeune Pauline Garcia n’en savait rien, mais cette cour assidue l’intimidait beaucoup, quoique Musset lui déplût fort, surtout par le « regard arrogant et presque insolent quand il regardait les femmes[1] ». Et voilà qu’un beau soir elle entend Musset dire à quelqu’un : « Je ne sais laquelle des deux : Pauline ou Rachel… » Cela la révolta jusqu’au plus profond de son cœur, lui fit prendre Musset en horreur, et entre temps Mme Sand attira l’attention de Mme veuve Garcia sur ce que Musset, avec ses habitudes et ses défauts, n’était nullement désirable comme prétendant au cœur de sa jeune fillette, génie musical précoce, apte dans son art à tenir tête aux artistes les plus experts, mais parfaitement dépourvue de toute connaissance de la vie réelle, innocente et confiante à l’excès.

  1. Cf. notre premier volume, p. 435, et t. II, la note à la page 17.