Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/246

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une existence isolée de celle des autres frères. Toutes les prédictions d’Alexis s’accomplissent, mais Angel découvre bientôt que son ami est atteint de bizarreries : la nuit il parle à un interlocuteur invisible, le jour il lit un livre dont les pages sont blanches. Angel lui-même devient le témoin de choses non moins étranges : tantôt, en plein midi, il entend distinctement les pas d’un homme invisible se promenant dans la salle du Conseil ; tantôt, au contraire, il voit se glisser, sans bruit, le long des cloîtres ou dans l’église, un homme aux cheveux dorés, vêtu comme un grand seigneur ou un savant des temps anciens, qui le regarde en souriant avec bienveillance ; un jour enfin Angel entend, prononcées par on ne sait qui, les paroles mystérieuses : « Victime, victime de l’imposture et de l’ignorance. » Angel, encore en proie aux préjugés catholiques, est tout prêt à condamner le vieux Alexis, il commence à le soupçonner d’être en rapport avec le prince des ténèbres. Repentant, il s’adresse au confesseur du couvent ; celui-ci, agissant toujours selon la politique du couvent, qui tend par tous les moyens à dresser un troupeau de moines brutaux et opprimés, le repousse. Angel, désespéré, rompt définitivement avec ses persécuteurs, méchants et hypocrites. Il livre son âme à son vieux protecteur. Il le supplie de lui expliquer les phénomènes qui l’ont affolé, de lui parler du mystérieux fondateur du monastère, l’abbé Spiridion, et d’éclaircir enfin tous ses doutes, de révéler la vraie religion à son âme torturée par la conduite inconcevable de toute la communauté. Alors le moine Alexis lui raconte sa vie, étroitement liée à celle de l’abbé Spiridion, longue histoire qui forme, au fond, toute la vraie fable du roman. C’est, comme nous l’avons dit, la peinture symbolique de toutes les conceptions religieuses traversées par l’humanité, depuis le monothéisme primitif, exprimé dans le judaïsme, jusqu’à la conception philosophique de la Divinité, comprise seulement par une élite ; c’est aussi le tableau fidèle des doutes, des luttes et du progrès spirituel de l’auteur, depuis le catholicisme de sa jeunesse jusqu’à la foi libre à laquelle elle arriva grâce et à travers les doctrines de Leroux et de Lamennais. Ce sont donc des « variations sur le thème » de Lessing.