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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/360

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Corner, puis la fait entrer dans la famille de ses anciens amis, les comtes de Rudolstadt, en Bohême, en qualité de maîtresse de chant de la jeune comtesse Amélie[1].

Consuelo arrive dans le morne manoir des Rudolstadt, — la Riesenbourg ou château des Géants, — au moment où toute la famille est plongée dans son habituel désespoir, causé par les crises périodiques de son unique héritier, Albert. Ces crises commencent par une apathie mélancolique, qui se transforme en une étrange excitation, accompagnée de délire. En proie à ce délire, Albert effraye tous ses proches par ses paroles mystérieuses : il prétend avoir plusieurs fois déjà habité la terre, il croit être la réincarnation de Jean Ziska lui-même, puis d’un de ses propres ancêtres. Il raconte alors avec des détails les plus précis des faits arrivés jadis, comme s’il en avait été témoin, et prédit les événements futurs, comme s’il possédait le don de seconde vue. Après cette crise, Albert disparaît ordinairement plusieurs semaines, on ne sait où ; à son retour, il tombe en léthargie ; il se réveille faible, mais bien portant, pour retomber à la première occasion dans l’apathie, le délire et le somnambulisme. Albert est le fils unique du vieux comte Christian : sa mère, la comtesse Wanda, issue de l’antique famille bohème des Prachalitz, mourut jeune, tuée par la douleur, très malheureuse en mariage. Les Rudolstadt descendent de la maison royale tchèque des Podiebrad, mais l’ambitieuse comtesse Ulrique, lors des guerres hussites, renia la religion protestante et son nom slave, afin de sauver ses enfants au prix de cette trahison. Les Rudolstadt s’efforcèrent d’oublier cet épisode, mais Wanda s’en souvenait parfaitement. Née tchèque, adepte des hussites et des taborites, rêveuse et exaltée, Wanda ne rencontra de la part des Rudolstadt qu’incompréhension, désapprobation et résis-

  1. Il est encore curieux de noter qu’à peine avait commencé à paraître : la quatrième partie du roman, le chapitre xxii, qui s’ouvre par l’arrivée de Consuelo chez les Rudolstadt, que Pauline Viardot s’empressa d’écrire à l’auteur, à la date du 17 juin 1842, de Madrid : « Chère ninonne, je n’ai pas encore reçu la Revue de ce mois, mais dans le numéro dernier, vous m’avez introduite dans la famille curieuse et étrange, dont je désire beaucoup continuer la connaissance. »