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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/430

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ment fantasques et quoique ses amis l’eussent mise sur ses gardes, elle n’en continua pas moins à aider Leroux en 1845 et 1846, tout comme auparavant. Elle le chargeait de transactions avec ses éditeurs, lui cédait une part sur les sommes que ces derniers lui versaient, et enfin, empruntait de l’argent pour lui, soit par Planet, soit par d’autres personnes ; elle secourait également ses frères, tantôt en les aidant à affermer une terre, tantôt en leur prêtant de l’argent. En 1845, Leroux fonda une nouvelle publication, la Revue sociale ; il supplia George Sand d’y collaborer : elle lui donna immédiatement sa Préface de la Mare au diable, si incomparablement charmante et pas moins célèbre, que la fameuse et emphatique Préface de Cromwell. Plus tard ce fut la même chose encore. Nous voyons, il est vrai, par les lettres de Mme Sand de 1848, et celles qu’on a imprimées à la fausse date de 1851[1], que les événements de 1848 lui montrèrent clairement le côté illusoire des doctrines de Leroux et dissipèrent aux yeux de la romancière le brouillard poétique et métaphysique qui lui avait voilé les défauts de cette doctrine[2]. Ce n’est pas sans raillerie qu’elle parle de lui. Bien plus, elle déclare ne plus pouvoir suivre les théories du maître, qui côtoient la folie.

C’est ainsi qu’elle écrit, le 22 janvier 1848, à Giuseppe Mazzini[3] :

J’ai vu aujourd’hui Leroux, à qui j’ai remis un exemplaire de votre texte italien et qui va s’en occuper sérieusement dans la Revue sociale. Il ne sera pas autant que moi de votre avis. Il rendra justice à la pureté et à l’élévation de vos idées et de vos sentiments ; mais il est possédé aujourd’hui d’une rage de pacification, d’une horreur pour la guerre, qui va jusqu’à l’excès et que je ne saurais partager.

Blâmer la guerre dans la théorie de l’idéal, c’est tout simple ; mais il oublie que l’idéal est une conquête, et qu’au point où en est l’humanité, toute conquête demande notre sang.

Il vous envoie probablement ses travaux quotidiens. Le voilà qui croit tenir la science religieuse, politique et sociale, et qui s’avance avec beaucoup d’audace comme possédant un dogme, une organisa-

  1. V. plus loin chap. viii.
  2. Cf. Correspond., t. III, p. 33, 57, 107, 235-236, 339.
  3. La lettre est datée du 22 janvier 1851 dans la Corresp. imprimée.