Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/167

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

qués sur leurs sentiments réciproques ; les marionnettes qui, après chaque représentation restent excitées, grâce à l’influence de l’esprit humain sur leur personne de bois, et qui avaient jasé en laissant voir leur point de vue particulier, leur philosophie de poupées, qu’elles prennent aussi pour la vraie vérité, les marionnettes se sont aussi calmées peu à peu et endormies. Et c’est alors que dans le deux prieuré obscur, les seules araignées veillent. Elles se mettent à travailler avec ardeur, à refaire toutes les toiles anéanties par l’homme. Elles tissent leur trame, — « in dem Wehstuhl geht die Spuhle — was sie webt das weiss kein Weber, » avait dit Heine (« la navette court dans le métier, ce qu’elle tisse, aucun tisserand ne le sait »), elles tissent et parlent :


Une ! deux ! une ! deux ! d’un bout à l’autre !… Filons, filons, travaillons, il fait sombre !

Travaillons pour qu’au jour naissant nos toiles nouvelles soient tendues. On a détruit aujourd’hui notre ouvrage, on a ruiné nos magasins et traîné nos filets précieux dans la boue. N’importe, n’importe ! Une ! deux ! Filons !

Que tout dorme ou veille, que le soleil s’allume ou s’éteigne, il faut filer, une ! deux ! d’un angle à l’autre !

Tissons, tissons, croisons les fils, le travail console et répare !

Tissons, filons, prenons les angles. Et vous qui détruisez le travail des jours et des nuits, vous qui croyez nous dégoûter de notre œuvre, balayez, ravagez, brisez. Une ! deux ! toujours, toujours, filons, tissons et travaillons jusqu’à l’aurore !

Dans les vieux coins, dans l’abandon et la poussière, nuit et jour la pauvre araignée grise tisse la trame de son existence ; active, patiente, menue, adroite, agile, une ! deux ! la pauvre araignée persévère. On la chasse, on la ruine, on la poursuit, on la menace ; une ! deux ! la pauvre araignée recommence !

Pour l’empêcher de travailler, il faut tuer la pauvre araignée. Mais cherchez donc nos petits œufs, cachés là-haut dans le plafond, dans l’ombre et dans la poussière. Le soleil reviendra toujours pour les faire éclore, et l’araignée, sitôt sortie de l’œuf, reprendra la tâche sans commencement et sans fin, la tâche patiente que Dieu protège. Une ! deux ! joignons les angles ! tissons, filons jusqu’à l’aurore.


C’est par cette note profondément symbolique, pleine de foi, de courage, de croyance en l’avenir, que George Sand termine