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Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/202

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après, et, parmi eux, ceux de La Châtre, qui n’avaient été à aucune réunion, attendant mon retour, peut-être, pour savoir la vérité.

S’il en était autrement, si ce que je dis là n’était pas vrai, je n’aurais pas quitté ma retraite, où personne ne m’inquiétait, et mon travail littéraire, qui me plaît et m’occupe beaucoup plus que la politique, pour venir faire à M. le président et à son ministre un conte perfide et lâche. Je me serais tenue en silence dans mon coin, me disant que la guerre est la guerre, et que qui va à la bataille doit accepter la mort ou la captivité. Mais, en présence d’injustices si criantes, ma conscience s’est révoltée, je me suis demandé s’il était honnête de se dire : « Tant mieux que la réaction soit odieuse, tant mieux que le gouvernement soit coupable ; on le haïra d’autant plus, on le renversera d’autant mieux ! » Non ! j’ai horreur de ce raisonnement, et s’il est politique, alors je n’entends rien à la politique et je ne suis pas née pour y jamais rien comprendre.

Non, il n’est pas possible de se réjouir de cela et d’y applaudir dans son coin. En souhaitant que nos adversaires politiques soient le moins coupables envers nous, je crois être plus républicaine, plus socialiste que jamais.

M. de Persigny chargé de la noble mission de réparer, de consoler, d’apaiser, et joyeux d’en être chargé, j’en suis certaine, appréciera mon sentiment et ne voudra pas que son nom, celui du prince auquel il a dévoué sa vie, soient le drapeau dont les légitimistes et les orléanistes (sans parler des ambitieux qui appartiennent à tous les pouvoirs) se servent pour effrayer les provinces, par l’insolent triomphe des plus mauvaises passions.

Voilà mon plaidoyer, monsieur ; je suis un avocat si peu exercé, et la crainte d’ennuyer et d’importuner est si grande chez moi, que je n’ose pas l’adresser à M. le ministre. Mais, comme c’est la première fois, la dernière fois, j’espère, que je vous importune, vous, monsieur, je vous demande en grâce de le résumer pour le lui présenter. Il sera plus clair et plus convaincant dans votre bouche.

Qui sait si je ne pourrai pas vous rendre un jour même service de cœur et de conviction.

Les destins et les flots sont changeants. J’ai passé bien des heures en mars et en avril 1848, dans le cabinet où M. de Persigny m’a fait l’honneur de me recevoir. J’y allais faire pour le parti qui nous a renversé ce que je fais aujourd’hui pour celui qui succombe. J’y ai plaidé et prié souvent, non pour faire ouvrir des prisons, elles étaient vides, mais pour conserver des positions acquises, pour modérer des oppositions obstinées mais inutiles, pour protéger des intérêts non menacés, mais effrayés.

J’y ai demandé et obtenu bien des aumônes pour des gens qui