Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/28

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par le rendre en disant qu’il manquait de place pour le publier ; ce qui n’est qu’un prétexte pour éviter de se compromettre dans l’esprit des bourgeois voltairiens. On a porté votre lettre et mes réflexions au Constitutionnel, qui a promis de les insérer, mais qui les tient depuis plusieurs jours sans eu rien faire. De sorte que j’ignore si, comme le Siècle, il ne se ravisera pas. J’ai écrit hier pour leur dire que, s’ils étaient effrayés de mes idées, je les autoriserais à les supprimer entièrement, pourvu qu’ils publiassent ma traduction de votre lettre. Nous verrons s’ils auront un peu de cœur et de courage ; mais je suis honteuse pour la presse française non seulement que vous n’y ayez pas un défenseur spontané, mais encore qu’on ait tant de peine à laisser entendre une voix qui s’élève dans le désert pour dire que vous n’êtes ni un jacobin ni un impie. Au reste, notre ami Borie, que vous avez vu chez moi, a pris plusieurs fragments de cette traduction et a fait de son côté un bon article qu’il a envoyé au Journal du Loiret, en même temps que j’envoyais le mien avec la traduction complète à Paris. Il a mieux réussi que moi. Cet article a été publié, il y a quelques jours[1], et j’attends, pour vous l’envoyer, que j’y puisse joindre le mien.

J’ai vu aujourd’hui Leroux, à qui j’ai remis un exemplaire de votre texte italien, et qui va s’en occuper sérieusement dans la Revue sociale[2]. Il ne sera pas autant que moi de votre avis. Il rendra justice à la pureté et à l’élévation de vos idées et de vos sentiments ; mais il est possédé aujourd’hui d’une rage de pacification, d’une horreur pour la guerre, qui va jusqu’à l’excès et que je ne saurais partager.

Blâmer la guerre dans la théorie de l’idéal, c’est tout simple ; mais il oublie que l’idéal est une conquête et qu’au point où en est l’humanité, toute conquête demande notre sang[3].

Il vous envoie probablement ses travaux quotidiens. Le voilà qui

  1. L’article de Borie sur la Lettre au Pape parut le samedi 15 janvier 1848, dans le Supplément du Journal du Loiret. Comme nous le savons déjà, Victor Borie avait été l’hôte de Nohant de l’automne de 1846 à février 1848. Il passa 1848 à Paris et à Orléans. En 1849, pour un article paru dans ce même Journal du Loiret, il fut condamné à la prison, se sauva à l’étranger et vécut en Belgique et à Londres. Dans la lettre du 26 décembre 1850, imprimée dans ce même tome III de la Correspondance, George Sand écrit à Poncy : « Borie est en Angleterre. Mais nous n’avons pas de ses nouvelles depuis assez longtemps… » Et deux pages plus loin on a pourtant imprimé cette lettre prétendue du 22 janvier 1861 où se trouvent les mots auxquels nous ajoutons cette note.
  2. La Revue sociale cessa de paraître dès 1848, En 1851 eUe n’existait plus.
  3. Depuis les sanglantes journées de Juin, George Sand n’avait plus jamais pensé ni écrit rien de pareil. Ce fut écrit à un moment où les flots de sang versés pour la liberté ne se voyaient encore qu’en imagination et paraissaient alors quelque chose de « beau », hélas !